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Le ghetto français
Description
Polytechnicien et docteur en économie, Eric Maurin nous livre ici une réflexion stimulante à partir d’un état des lieux de la ségrégation en France. Celui-ci repose sur une analyse des données de l’enquête Emploi menée chaque année par l’INSEE. Celle-ci interroge toutes les personnes de quinze ans et plus dans 4.000 petits “ voisinages ”, chaque voisinage comportant 30 à 40 logements adjacents. Approche tout à fait intéressante car elle met en évidence la parenté sociale et culturelle qui s’inscrit dans les micro territoires, d’une part entre des ménages qui les ont investis dans une dynamique promotionnelle rendue possible par les moyens économiques dont ils disposent, d’autre part entre des ménages qui y sont relégués faute de tels moyens. D’où il ressort que les stratégies de fuite ou d’évitement des “ quartiers difficiles ” pratiquées par les premiers, souvent pour donner à leurs enfants de meilleures chances de réussite scolaire d’abord et sociale ensuite, contribuent à accentuer un double phénomène de “ ghettoïsation ”, l’un par le haut et l’autre par le bas. Si bien que “ le lieu de résidence et les interactions sociales qu’il conditionne comptent parmi les ressources essentielles d’une concurrence généralisée pour les meilleurs destins, laquelle s’engage désormais dès l’enfance ”.
Dès lors il ne suffit pas de “ traiter ” les quartiers sensibles ou les publics en difficulté, il faut “ désamorcer un processus de sécession territoriale, par lequel chaque fraction de classe sociale évite activement de se mélanger à celle qui se trouve immédiatement au-dessous ou à côté d’elle dans l’échelle des difficultés. ” On le voit bien en faisant le bilan des politiques sociales entreprises ces dernières années, qui ont ciblé des territoires défavorisés (logements sociaux, zones d’éducation prioritaires, zones franches…) : elles n’ont pas réussi à enrayer ce processus, même si elles ont sans doute permis de contenir le risque d’une plus grande exclusion.
Le renforcement de “ l’entre soi résidentiel ”, choisi par les uns, subi par les autres, a pour conséquence de faire grandir les enfants “ entre pairs ”, pour le meilleur ou pour le pire. Or beaucoup de citoyens qui professent pourtant la nécessité de la mixité sociale font des choix et ont des pratiques individuelles qui vont à son encontre. Finalement, chacun se révèle un complice plus ou moins actif du processus ségrégatif.
L’auteur estime au terme de son analyse que “ c’est en atteignant les individus que l’on transformera le territoire, et non l’inverse ”. Pour lui, il faut résolument “ donner davantage aux jeunes enfants et aux adolescents les plus démunis de ressources familiales ”, de façon substantielle tant en soutien financier à leur famille qu’en accompagnement social personnalisé. “ L’ensemble de nos politiques publiques pour la santé, le logement ou la formation peut être réorienté de manière à se concentrer réellement sur les jeunes les plus démunis et à éviter de se disperser sur un trop grand nombre de bénéficiaires ou de territoires. ” Ce seraient des politiques plus justes et sur un long terme plus rentables.
Daniel Fayard
Editions du Seuil – La République des Idées – 2004 – 95 p.
Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 194 : Parcours d’engagements.