À l’école, “il y a trop d’injustice, il faut que ça change”

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Dans son livre “L’égale dignité des invisibles – Quand les sans-voix parlent de l’école”, la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard donne la parole à dix militants Quart Monde et à trois enseignants et chercheurs qui se confient sur leur vision de l’école. Nous publions ici deux extraits de ces témoignages, qui montrent comment l’école “écarte, exclut et enfonce encore trop souvent ceux qui vivent une grande précarité”, mais peut aussi permettre “d’évoluer et de mieux s’insérer dans la société”.

Jacqueline, militante Quart Monde à Reims

J’ai fait ma maternelle au quartier du Maroc, à Reims. Je suis entrée en CP à Émile-Zola, une école qui accueillait les gens du voyage. Puis je suis allée à l’école Pommery faire une deuxième année de CP et j’y suis restée jusqu’en CM2.

Au collège, j’ai fait deux années de sixième et deux années de cinquième. Pourquoi ça ? J’étais au collège Pablo Picasso où ils connaissaient déjà les membres de ma famille et on était assez mal accueilli. Et là, malheureusement, j’ai pris pour les autres. On ne voit pas l’élève, on voit la famille de l’élève et on dit : « De toute façon, celui-là… » À ATD Quart Monde, on mène le combat contre ça. On aura beau nous mettre dans un quartier résidentiel, le statut restera toujours là. Ça parle, ça jase. Je le prends avec le sourire maintenant, c’est la vie quotidienne.

Mon rêve, c’était d’être puéricultrice ou être dans l’animation, c’était le rêve de rêve en sixième. J’ai fait des petits stages en crèche. Ils m’ont laissé faire pendant un an et après, ils ont tout arrêté.

À cette époque, quand les élèves soi-disant n’y arrivaient pas, on se retrouvait dans une classe à part la moitié du temps et l’autre moitié du temps, on allait dans notre classe normale. Ça s’appelait la CPPN (classe pré-professionnelle de niveau). J’ai fait un atelier pâtisserie, un atelier bois, alors que ça ne me plaisait pas du tout. Ils n’ont jamais voulu me mettre dans un stage plus long, ils me disaient : “De toute façon, tu vas arrêter l’école à seize ans.” En fait, ce sont eux qui nous ont fait arrêter à seize ans. […]

Qu’est-ce que je pense de l’école ? Il y a trop d’injustice, il faut que ça change. Quand tu vois que Rudy, en dernière année de collège, s’était fait renvoyer une semaine d’un cours parce qu’il n’avait pas l’argent pour acheter la calculatrice Casio. Devant tout le monde, il a été exclu du cours. La Casio coûtait déjà à cette époque-là énormément cher.

Ce qu’il faudrait faire, c’est déjà de mettre tous les enfants dans le même panier. Un gamin, c’est un gamin, ce n’est pas le fils du directeur ou le fils d’untel. Il est à l’école pour apprendre, tout le monde doit être à la même enseigne. Et ça, dès la maternelle. Il faut aussi arrêter de juger les gens.

Florence, directrice d’école maternelle à Lyon

Dans notre école, nous accueillons les tout-petits, tous ceux qui se présentent. Je fais même une politique de dé­marchage auprès des familles que je connais. Quand il y a des petits frères et des petites sœurs, on demande la date de naissance et on leur propose de venir dès deux ans. On a constaté avec les partenaires institutionnels que les familles ne s’orientent pas vers les crèches ou les haltes garderies. La seule raison pour laquelle l’enfant sort de la famille, c’est l’école. Les mamans n’ont pas vraiment envie de se séparer de leur enfant : la crèche, c’est pour les garder et elles savent très bien les garder toutes seules. L’école, c’est pour apprendre, c’est donc une bonne raison pour sortir.

À deux ans, cette séparation peut être douloureuse. On prévoit un temps d’adaptation. Parfois, les enfants restent deux heures le matin pendant deux mois. Petit à petit, nous avons pu constater une grande différence entre ceux que l’on a eus à deux ans et ceux qui arrivent à trois ans. On peut vraiment prendre son temps à deux ans et l’année des trois ans, ils sont déjà élèves, ils savent travailler et les parents ne sont plus inquiets.

Le Covid a rendu les choses plus difficiles et nous ne sommes pas totalement sortis d’une certaine inquiétude. L’impact fut et est encore un repli sur soi. On ne sait plus comment vivent les uns et les autres. Ces deux dernières années beaucoup plus que d’habitude, je suis obligée d’aller chercher les familles pour les inscriptions. On a même eu une petite chute de nos effectifs des deux et trois ans. Il y a des familles que l’on n’a pas vues et pas touchées. Même avec celles que je connaissais et qui me connaissaient, il a fallu que je déploie toute ma diplomatie pour qu’elles acceptent le fait qu’il n’y avait plus de danger à l’école.

On accueille des enfants qui ne sont pas sortis de chez eux pendant deux ans. Ce repli sur soi intervient dans des zones où les familles ont déjà peur du regard des autres, peur des autres, peur du quartier et de la rue jugée dangereuse pour les enfants […]

Il faudrait que l’on nous écoute sur le terrain. Treize enfants en grande section c’est génial, mais vingt-huit dans les autres ? Nous préférerions une solution moyenne, que nous puissions continuer nos triples niveaux, mener l’expérimentation jusqu’au bout et avoir les moyens de le faire. Et puis, on voudrait un peu plus de souplesse pour le passage en CP, qu’il soit possible en mai, septembre ou janvier, suivant les capacités des élèves. Mais il n’y a aucune souplesse. L’idéal serait que nos belles idées puissent un jour prendre forme. »

 

L’égale dignité des invisibles – Quand les sans-voix parlent de l’école. Sous la direction de Marie-Aleth Grard, Éditions Quart Monde/Le Bord de l’eau, 192p., 10 €

Photo : Une école de Bourgogne membre de l’expérimentation CIPES. © Michelle Olivier, ATD Quart Monde

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de décembre 2022.

 

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