Du jeudi 29 septembre au dimanche 2 octobre 2022, des membres d’ATD Quart Monde se sont réunis afin de penser collectivement la transition écologique. Des sujets tels que l’accès pour toutes et tous à une alimentation saine, la responsabilité des plus riches et la nécessité de leur mise en action, ainsi que les diverses formes de mobilisation ont ainsi été débattus. La particularité de ces échanges a été de s’appuyer sur les regards et points de vue des militants Quart Monde, en tant que personnes vivant ou ayant vécu la grande pauvreté, permettant ainsi une réelle prise en compte des enjeux sociaux propres à la transition écologique.
Une alimentation biologique, saine et locale pour toutes et tous : comment y parvenir ?
Le premier temps de réflexion a porté sur les manières dont l’accès à l’alimentation pourrait s’adapter autant aux enjeux écologiques –entre réchauffement climatique, pollution des milieux et déclin de la biodiversité- qu’aux limites économiques des populations les plus précarisées. En effet, si les propositions alimentaires ne manquent pas (agriculture biologique, achats en vrac, production locale et de saison…), rares sont celles demeurant accessibles à toutes. À titre d’exemple, un panier de courses issu de l’agriculture biologique coûte en moyenne 30% plus cher qu’un panier moyen. Pourtant, l’accès à une alimentation saine recouvre plusieurs droits : le droit de prendre soin de soi et de sa santé, mais également celui de pouvoir agir pour la transition écologique en révisant son régime alimentaire. Aussi, donner à chacun la possibilité d’adapter sa consommation doit passer par des aménagements concrets. En ce point, les épiceries solidaires sont intéressantes, alliant qualité du produit et accessibilité du prix. Fatiha, une militante du Mouvement, témoigne de l’importance pour elle de contribuer au paiement de ses besoins, ce que ne permettent pas les banques alimentaires : « Les épiceries ça permet la qualité des produits qui sont frais et ce n’est pas du don. Tu paies comme tout le monde ce que tu achètes donc tu te sens plus digne”.
Autre proposition : devenir soi-même producteur de la nourriture que l’on consomme, par le biais des jardins partagés notamment. À l’instar des membres du groupe local d’ATD Quart Monde de Dijon, qui cultivent leur propre jardin potager : “Nous, le jardin partagé on y va tous. Tous les légumes qu’on a, on fait des sacs ou des paniers et on partage tout à égalité. On donne à tout le monde du groupe. Y’a pas de prix”, raconte Patricia. Le partage se révèle alors être un vecteur d’égalité dans l’accès pour tous et toutes à une alimentation saine et écologique. Cela rejoint également l’initiative de l’association Emplettes et cagettes, qui travaille à faciliter l’accès “aux plus fragiles à une alimentation de qualité de façon digne et durable”. Leur idée ? Proposer des achats groupés de produits locaux, ce qui permet d’acheter à prix réduit tout en resserrant les liens entre consommateurs et agriculteurs, ces derniers figurant également parmi les populations les plus vulnérables aux bouleversements écologiques.
Mise en action des plus riches
Parce que les plus riches sont ceux.celles qui polluent le plus, comment les pousser à changer leurs pratiques en vue d’une société réellement écologique et égalitaire ? Un second temps d’échange fut consacré au sujet de la mise en action des plus riches, partant du constat qu’ils et elles sont, au vu de leur mode de vie sur-consumériste, une source non négligeable d’émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement de l’atmosphère. Rappelons qu’en 2015, à échelle française, “l’emprunte carbone moyenne des 1% les plus riches était 13 fois plus élevée que celle des 50% les plus pauvres (50,7 contre 3,9 tonnes de CO2 par an et par personne)”.
Au regard de ces données, nous comprenons que militer pour la transition écologique impose par ailleurs de lutter contre les injustices sociales et pour une société égalitaire. Aussi, il apparaît essentiel de pousser les plus riches à prendre conscience des impacts de leurs privilèges et des conditions de pauvreté de ceux et celles qu’ils ne côtoient ni ne veulent voir. Entre autre, cela doit passer par la provocation de rencontres entre personnes riches et personnes pauvres. “Que les plus riches viennent voir comment vivent les plus pauvres et qu’ils comprennent qu’ils n’arrivent pas à sortir la tête de l’eau. […] Nous on voit tout ce qu’ils font, eux ne voient pas nous comment on vit !”, exprime Fatiha.
Mais réfléchir aux manières de susciter ces rencontres nous confronte à un obstacle de taille : du fait que l’exclusion sociale ait façonné un fossé entre ces deux populations, les personnes pauvres ne connaissent pas ou peu de personnes riches. C’est ce dont témoigne Eve : “Pour répondre à la question de concrètement, qu’est-ce qu’on peut faire autour de nous pour solliciter les riches ? Je réponds que je connais pas de riches, ça commence mal ! On peut aller les chercher, mais moi je suis sûre que vraiment, les gens riches, ils vivent dans un endroit où moi j’ai très peu de chances de les rencontrer. Je les rencontrerai pas dans mon petit supermarché du coin ni dans mes loisirs”. Face à une société ghettoïsée, il nous revient donc de créer et développer des espaces de mixité sociale véritable, à l’image des groupes locaux d’ATD Quart Monde où militants Quart Monde et alliés cohabitent. Entre autre, le projet d’organiser un évènement faisant converger en un même lieu les donateurs du Mouvement et ses militants a ainsi émergé. De cette façon, peut-être qu’une première étape de rencontre et de dialogue pourrait être franchie…
Une autre voie propice à la rencontre serait de permettre aux plus pauvres d’investir les espaces académiques, scientifiques et politiques, qu’ils soient réflexifs, consultatifs ou décisionnaires. Si certains se caractérisent par leur opacité, d’autres affichent leur ouverture à tous. Nous pouvons notamment penser au Conseil économique, social et environnemental au sein duquel ATD Quart Monde occupait un siège depuis 1979, avant de se le voir retirer en 2021. Ou encore aux Conférences sur les changements climatiques, auxquelles le Mouvement a pris part dernièrement lors de la COP26 à Glasgow. De même, cela nous rappelle les quelques séminaires réalisés en lien avec les milieux universitaires où acteurs de terrain, militants et chercheurs se retrouvent pour étudier collectivement des thématiques sociétales.
Plus localement, nous pourrions citer les conseils de quartier et les conseils municipaux qui sont autant de lieux “où on a le droit d’aller mais où on ne va pas”, comme le souligne Céline, alliée du Mouvement. Se saisir de ces espaces politiques, Marion, militante Quart Monde, raconte s’y être prêtée à plusieurs reprises. Elle témoigne : “Ils connaissent pas forcément tous nos problèmes, mais comme on a le droit d’y assister, je pense que ça vaut le coup d’y aller. Au conseil municipal, j’écoute et quand je vois que quelque chose m’intéresse, je demande à être reçue par le maire et on peut discuter”.
Sur un autre volet, la perspective de taxer davantage les plus riches est apparue comme une piste potentielle en vue de susciter la mise en action de cette partie de la population d’une part, et de financer la transition écologique d’autre part. L’idée serait alors d’imposer les consommations excessivement émettrices de carbone via l’achat des billets d’avion par exemple. Ou encore, par le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (supprimé par Emmanuel Macron en 2018) tel que le suggère Joëlle : “Faudrait faire des taxes dédiées, dédiées à la transition écologique. Comme l’ISF, moralement et symboliquement je trouve qu’elle était importante”. Au-delà d’un effet de contrainte vis-à-vis des plus riches, l’instauration de ce type de mesures fiscales pourrait être le moyen de financer la transition écologique, à commencer par la rénovation des logements précaires, un geste autant écologique que social selon Jean-Philippe : “Qu’ils payent des impôts plus justes par rapport à leur consommation, et ces impôts permettraient de financer des logements plus écologiques pour tous pour avoir un logement plus digne”.
Ateliers de sensibilisation, actions juridiques, manifestations…
Quelles formes de mobilisation pour la mise en place d’une transition écologique ? Après deux journées de discussions, la rencontre du Labo d’idées s’est clôturée sur un temps de réflexion traitant des différents modes de mobilisation et d’action dont pourrait se saisir ATD Quart Monde afin de s’inscrire dans la lutte pour une transition écologique.
La volonté de mettre l’accent sur la sensibilisation a rapidement été exprimée, accompagnée d’un attachement particulier à l’art et la culture. “J’ai un peu ce côté de la parole. Ma sensibilité personnelle est plus dans essayer d’atteindre les gens, donc plus dans la communication, la sensibilisation. […] Ce qui m’attirerait ce serait des actions culturelles, de l’art, du théâtre, faire des documentaires. Je suis sensible à une belle image, à la musique. Une manif je ne suis pas attentive. Si dans la rue il y a une pièce de théâtre, je vais m’arrêter”, confie Eve. Quant à Jean-Pierre, il avance l’idée de rendre l’écologie plus festive et joyeuse, la diffusion de messages et la mobilisation du plus grand nombre se faisant selon lui par le biais de “grandes fêtes où on invite du monde”.
Outre cette vision artistique de l’écologie, plusieurs militants Quart Monde ont également exprimé leur motivation pour recourir à de nouvelles formes d’action, tel qu’a d’ailleurs pu le faire le mouvement climat ces deux dernières années. Une façon de lutter concrètement contre l’agroalimentaire et les énergies fossiles, identifiées comme deux des cibles principales. Ainsi, pour Maurice, “il faut bloquer [des routes] et surtout il faut tenir, si on tient pas ça sert à rien. Donc il faut bloquer avec son corps et faire de la désobéissance civile”. Il est rejoint par Christian, qui imagine une action de plantation sauvage : “On a beaucoup de terres et de friches industrielles chez nous dans le Val d’Oise. Et le long des lignes de chemin de fer on s’aperçoit que c’est pas bien entretenu. Et donc nous on a pensé mettre des graines comestibles”. Nicole quant à elle, projette de “désobéir, aller squatter un magasin et se révolter contre les emballages”. Elle interroge : “Comment veux-tu faire entendre nos voix autrement que comme ça ?”.
Réflexions en cours et affaire à suivre donc… Le Labo a déjà prévu se retrouver à la fin du mois de novembre en vue de donner vie à ses idées.
Rozenn Hany
Photos : Photo de groupe des membres du labo d’idées / En plus des temps de réflexion, les membres du Labo d’idées ont pu confectionner des jardinières à partir de palettes, accompagnés par Philippe Walch, paysagiste et fondateur de l’entreprise “Les jardins à vie”.