Nommée Défenseure des droits sur proposition du président de la République, à la suite de Jacques Toubon, Claire Hédon a été dans l’obligation de quitter la présidence d’ATD Quart Monde. Elle revient ici sur les faits marquants de son engagement.
Quel bilan faites-vous après cinq années à la tête d’ATD Quart Monde ?
J’ai été cinq années présidente, mais aussi 28 ans alliée dans ce Mouvement. Je ne tire pas un bilan personnel, mais c’est un bilan global de l’ensemble des équipes, car c’est ce que j’ai apprécié à ATD Quart Monde : je n’ai pas travaillé seule, mais toujours en équipe, et avec bonheur, notamment avec les membres de la Délégation nationale et les militants Quart Monde.
J’ai vu à quel point les décisions que l’on peut prendre s’appuient sur ce que nous disent les personnes en situation de pauvreté, sur leur réalité quotidienne, mais aussi sur ce qu’elles réalisent déjà au quotidien et ce qu’elles proposent, par exemple au sein du conseil d’administration du Mouvement. C’est un souci constant lors des différentes prises de parole devant les pouvoirs publics ou dans les médias. Ce travail d’intelligence collective est une force incroyable. Cela m’a souvent permis de prendre des décisions qui n’allaient pas forcément dans le sens auquel je pensais au départ. Et cela n’empêche pas d’avoir des convictions.
C’est vraiment ce que je retiens de ces années dans le Mouvement : on peut travailler ensemble et avancer. Je ne dis pas que tout est idyllique, on a eu parfois des désaccords évidemment, mais quand on est dans le respect de l’intelligence de l’autre, que l’on sait reconnaître ce que chacun peut apporter, c’est une grande richesse. Je suis ébahie par la diversité des personnes qui rejoignent le Mouvement. Grâce à cela, ATD Quart Monde a toujours la capacité de se lancer dans des projets audacieux, pas toujours simples, d’être très libre et de se réinventer.
Quelles ont été les avancées marquantes au cours de votre mandat ?
De nombreuses avancées obtenues correspondent d’abord au travail de mes prédécesseurs. Grâce au travail réalisé par les équipes, avant puis après mon arrivée, la loi permettant l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée a été adoptée, en février 2016. C’est un projet auquel je crois beaucoup, parce que les personnes en situation de précarité ont envie de travailler pour être insérées dans la société et vivre dignement. Il permet de montrer qu’il est possible de lier le social, l’aide à la personne et la protection de l’environnement. Puis, en juin 2016, il y a eu le vote de la loi sur le 21e critère de discrimination pour cause de précarité sociale.
Je pense aussi au travail réalisé depuis des années par ATD Quart Monde sur la question de l’accès aux droits, qui est vraiment chevillée au corps des membres du Mouvement. Le fait de démontrer inlassablement que la pauvreté n’est pas simplement un manque de revenus financiers, mais un non-accès aux droits essentiels que sont le logement, le travail, l’éducation des enfants, l’accès à la santé, la culture, le droit de vivre en famille…
Il y a également eu des avancées sur la question de la participation des personnes en situation de pauvreté. Je pense que la société a progressé sur cette question, mais on voit bien qu’il faut maintenant mettre en œuvre les conditions de cette participation. La recherche sur les dimensions de la pauvreté, produite par ATD Quart Monde avec l’Université d’Oxford, des chercheurs de haut niveau et des personnes en situation de pauvreté de six pays, trois du Nord et trois du Sud, a été un moment fort. Cette étude nous a dit beaucoup de choses, certaines que l’on savait déjà sur la réalité de la pauvreté, mais d’autres assez nouvelles sur l’empêchement du pouvoir d’agir, la maltraitance institutionnelle…
Mais je pense que ces avancées sont dans l’ADN du Mouvement depuis des années et se poursuivront. Cette continuité est bonne, parce que notre boussole reste la même, ce sont les personnes les plus pauvres.
Quels sont les chantiers prioritaires pour vos successeurs ?
Il faut avancer sur la question de l’accès au logement. Il faut convaincre les autorités qu’il est indispensable de construire massivement des logements sociaux à des prix abordables pour les plus pauvres et soucieux de l’environnement. Il faut continuer à travailler la question de la fixation des loyers en fonction des revenus de la personne. Pendant le confinement, nous avons vu à quel point être dans des logements sur-occupés et insalubres est invivable.
Une autre priorité est la question de l’école. Un énorme travail a été réalisé pour réfléchir à l’orientation scolaire, à la manière de ne pas mettre sur des voies de garage les enfants dont la famille est en situation de grande pauvreté. Mais on l’a vu avec la crise sanitaire, les inégalités ont augmenté, cela a été très compliqué, voire excluant, pour ces familles de faire l’école à la maison. Il est nécessaire d’intensifier nos réflexions et nos actions sur toutes ces questions-là.
Je pense aussi qu’il faut poursuivre le rapprochement avec les mouvements de jeunes et de protection de l’environnement. Beaucoup de jeunes se rendent compte qu’on ne peut pas se battre pour la planète, sans se battre pour plus de justice sociale. Allier les deux réflexions et réfléchir ensemble nous permet d’aller dans des sphères un peu différentes, mais dans une même démarche : construire une autre société, qui arrête de creuser les inégalités et d’augmenter le réchauffement climatique et qui n’exclut personne.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez dû faire face en tant que présidente d’ATD Quart Monde ?
Il est difficile de convaincre l’opinion publique, alors que c’est un levier essentiel de l’action. On sent qu’il y a encore un regard très discriminant sur les plus pauvres. Si l’opinion publique était convaincue que la priorité des priorités est de penser avec tous les questions de société et de n’exclure personne, on arriverait à convaincre les pouvoirs publics plus facilement, ce qui n’est pas simple non plus. Quand on pense ensemble on trouve de nouvelles solutions à expérimenter, comme les Territoires zéro chômeur de longue durée, qui peuvent bénéficier à tous.
Quelles vont être vos missions en tant que Défenseure des droits ?
Le Défenseur des droits est une institution au service des citoyens pour l’accès aux droits. Je pense que c’est important de regagner la confiance des Français, parce que les dysfonctionnements de l’administration compromettent l’accès aux droits et la confiance. L’objectif est de faire respecter les droits des usagers des services publics, des enfants, et des personnes victimes de discrimination. À cela s’ajoute la déontologie des forces de sécurité et la protection des lanceurs d’alerte. L’institution n’est pas encore suffisamment connue et les personnes en difficulté n’ont pas forcément le réflexe de s’adresser au Défenseur des droits, donc je vais continuer à la faire connaître. Ce poste est pour moi dans la continuité de mon action à ATD Quart Monde pour améliorer l’accès aux droits.
Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre engagement au sein d’ATD Quart Monde ?
Il est impossible de ne retenir qu’un seul souvenir ! Je pense à un déplacement l’année dernière aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence où j’intervenais auprès de grands patrons et de personnalités politiques. L’équipe de Marseille m’a proposé de m’échapper un peu pour participer à la Bibliothèque de rue dans un squat où vivent des familles roms. J’aime beaucoup les Bibliothèques de rue, ce sont toujours des moments forts. C’était très intéressant de voir la soif d’apprendre et d’écouter des enfants, de discuter ensuite avec les parents. J’en garde un très bon souvenir. C’est une des grandes forces du Mouvement d’allier la réflexion de fond, l’action et la remise en cause, de pouvoir échanger avec des décideurs et des personnes en difficulté. Cela m’a permis de ne jamais être déconnectée du terrain. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet
Le conseil d’administration d’ATD Quart Monde s’est réuni le 16 juillet 2020 pour assurer la succession de Claire Hédon. L’actuelle vice-présidente, Marie-Aleth Grard, a été élue présidente.
Ils ont présidé ATD Quart Monde
- 2015-2020 Claire Hédon
- 2010-2015 Pierre-Yves Madignier
- 2002-2010 Pierre Saglio
- 1998-2002 Paul Bouchet
- 1964-1998 Geneviève de Gaulle Anthonioz
- 1960-1964 André Etesse
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de septembre 2020.
Photo : Claire Hédon lors de l’Assemblée générale d’ATD Quart Monde en 2017. © ATD Quart Monde