Yves Petit est volontaire permanent d’ATD Quart Monde à Lyon, depuis 2015. Il décrit comment s’est déroulé le confinement pour certaines personnes sans domicile fixe.
Je suis en lien avec quelques personnes que j’ai connues de par ma présence régulière dans un accueil de jour à Lyon. Certaines sont en squats, hébergées par des tiers ou par le 115, et d’autres sont sans hébergement du tout.
16 mars – Suite à l’annonce du confinement, les associations lyonnaises de l’urgence sociale décident de fermer tous les accueils de jours (manque de personnel et de bénévoles, manque de protection…), et le confinement de tous les centres d’hébergement 115. La mairie restreint l’accès aux gares, ferme toutes les bibliothèques, sanitaires publics, parcs et fontaines publiques. Les personnes sans logement perdent, du jour au lendemain, tous leurs repères et leur lieux refuges.
17 mars – Que faire face à cette situation inédite ? Comment rester solidaire sans possibilité d’agir sur le terrain ? Après un temps d’hésitation, je décide d’appeler les personnes dont j’ai le numéro de téléphone. Certains sont militants au sein du Mouvement, et d’autres ne me connaissent qu’à travers quelques moments d’échange. Que leur dire ? Que leur proposer ?
Plusieurs me répondent. Ils me font rapidement part de leurs inquiétudes, pas pour eux-mêmes mais pour d’autres personnes qu’ils connaissent et qui sont dans des situations difficiles : problème d’accès à l’eau et aux sanitaires, désorganisation des distributions, impossibilité de charger les portables, difficulté à se déplacer sans autorisation, contrôles et verbalisations.
Je suis impressionné par leur capacité à faire des propositions concrètes basées sur leur expérience de la rue : informer plus largement dans l’espace public en tenant compte de la barrière de la langue, ré-ouvrir les fontaines publiques, rendre accessibles les douches des salles de sport, des piscines ou des gymnases, réquisitionner des hôtels, des campings, des centres de formation ou de retraite, permettre à chacun de pouvoir se confiner comme il le souhaite : individuellement, collectivement ou bien en restant dans la rue si cela leur convient plus : « Honnêtement, ce n’est pas dans la rue que je suis le plus angoissé. »
18 mars – Du jour au lendemain, les personnes qui sont souvent qualifiées d’invisibles, sont devenues très visibles. Pour beaucoup, c’est cette capacité à rester discrets, invisibles, qui leur permet de survivre. Pendant les rapides balades que je fais dans le quartier, je croise plusieurs personnes que je connais : ils sont sans masque, assis, à attendre dans un coin d’un parc ou sur leur banc au milieu d’une place habituellement remplie de monde, sauf que maintenant, ils sont seuls. Certains se sentent encore plus discriminés qu’avant : « On s’éloigne de nous comme si on était des poubelles » « Maintenant, quand les policiers me voient, ils disent : “Lui il est SDF”. Alors que normalement, ils ne me remarquent même pas. ».
19 mars – Une personne, qui avait trouvé refuge dans une auberge de jeunesse, vient d’apprendre que celle-ci ferme. Il n’a pas d’autre solution que de retourner à la rue. Il fait partie de cette majorité de personnes qui n’appellent plus le 115 suite à de trop mauvaises expériences vécues dans des centres d’hébergement d’urgence. Je lui propose d’appeler tout de même le 115. Il me répond : « J’ai appelé aujourd’hui. Ils ont dit qu’ils n’auront pas de place avant le 4 avril. » « Et puis, je ne suis pas prioritaire. »
Je demande alors à chacun leur permission pour remonter tous ces constats, mais aussi leurs réflexions et leurs propositions, aux institutions auxquelles j’ai pu avoir accès : Conseil Régional des Personnes Accompagnées, Fédération des Acteurs de Solidarité, Cellule de coordination de l’urgence sociale de la Métropole de Lyon, Délégation nationale du Mouvement. Leurs observations se basent sur un savoir d’expérience qui permettra peut-être d’éclairer les professionnels qui tentent de se réorganiser. L’un d’eux me dit : « C’est surtout important de faire tourner les infos. Au moins, ils ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas au courant. S’il y a des trucs auxquels on pense et qui se met à manquer, on t’en parlera. Je vais même demander aux gars que je croise dans la rue, tant qu’à faire. »
J’aimerais continuer à faire entendre la voix de ceux que l’on n’écoute pas d’habitude et inciter les professionnels à réfléchir aux solutions avec les premiers concernés. Ce sont eux qui nous montrent le chemin d’une société qui n’exclut personne car c’est le combat qu’ils mènent tous les jours. Yves Petit
Pour témoigner et nous raconter comment vous vivez cette période de confinement, n’hésitez pas à réagir à nos publications sur les réseaux sociaux ou à nous contacter par mail à :
solidarites.coronavirus@atd-quartmonde.org
Vous pouvez également retrouver l’ensemble des témoignages d’Yves Petit sur le site de Rue 89 Lyon.
Photos : Distribution alimentaire à Paris, début avril 2020. © JCR, ATD Quart Monde
Errance dans Lyon. © GinBen