L’association DALO entend défendre la bonne application du droit au logement opposable mis en œuvre par la loi du 5 mars 2007. Une mission difficile, selon son président Bernard Lacharme, car l’État se défausse de ses responsabilités.
Vous aviez dénoncé il y a deux ans le désengagement de l’État en matière de logement, quel constat faites-vous aujourd’hui ?
Le constat n’est pas brillant. Il est clair que le droit au logement n’est pas une préoccupation du gouvernement aujourd’hui. Il a développé la politique du « logement d’abord », qui est intéressante. Mais le premier axe de ce programme était de développer l’offre abordable de logements et il est passé complètement à la trappe. Le bilan de ce programme n’est donc pas du tout positif, contrairement à ce qu’affirme le ministre du Logement. Il y a plus de personnes sans-abri qu’il y en avait il y a cinq ans et il y a même des enfants qui vivent à la rue, mais cela ne fait pas réagir le gouvernement. Je suis vraiment choqué de voir la façon dont cette question du logement est totalement ignorée.
La loi DALO fonctionne-t-elle ?
Cette loi reconnaît le droit à un logement décent et indépendant à toute personne résidant régulièrement sur le territoire français qui n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir. Dans les départements qui ne connaissent pas de crise du logement, les procédures pour faire respecter ce droit fonctionnent relativement bien. Mais, sur certains territoires comme l’Île-de-France, il faut se battre, attaquer l’État au tribunal, le faire condamner à payer des astreintes et une indemnité pour espérer qu’il y ait une réaction et que la personne soit finalement logée. Ce n’est pas normal et cela veut dire qu’on ne s’est pas donné les moyens nécessaires.
Pourquoi l’État se met-il ainsi hors-la-loi ?
L’État répond qu’il n’a jamais dépensé autant pour l’hébergement, mais cela devrait le questionner. Effectivement, il n’y a jamais eu autant de places d’hébergement ouvertes et il n’y en a pas assez. Mais, si l’on se pose les bonnes questions, on voit d’abord qu’il n’y a pas assez de logements. Lorsque la loi DALO a été votée, l’État mettait un milliard d’euros pour subventionner la construction de logements sociaux.
Aujourd’hui, non seulement il met 0 euro, mais, en plus, il prend dans les caisses des organismes HLM plus d’un milliard d’euros par an, par un mécanisme qui leur impose de diminuer les loyers pour que l’APL baisse. Cela représente une somme énorme, qui manque aux organismes de logement social pour produire des logements. L’État se défausse en disant que c’est la faute des collectivités locales. Il y a sans doute des collectivités qui ne font pas suffisamment leur travail, mais il y a d’abord une responsabilité de l’État. La loi l’a rendu garant du droit au logement, c’est donc à lui d’agir.
La trêve hivernale, durant laquelle les procédures d’expulsion sont suspendues, a pris fin le 31 mars. Craignez-vous une augmentation des expulsions cette année ?
Oui, je le crains, surtout avec les discours ambiants que nous entendons actuellement autour de la proposition de loi Kasbarian-Berger, qui prévoit de criminaliser les locataires en difficulté de paiement. Cela veut dire qu’on considère que c’est de la faute de ces personnes si elles sont expulsées et qu’il faut aller jusqu’à les mettre en prison. On marche sur la tête. Il ne devrait pas y avoir d’expulsion sans relogement, été comme hiver, puisque la loi DALO reconnaît le droit des personnes expulsées à être relogées. Cela montre le peu de cas que l’on fait du respect de cette loi.
Seize ans après sa mise en œuvre, le droit au logement opposable est-il aujourd’hui menacé ?
Je ne pense pas que la loi adoptée en 2007 pour mettre en œuvre un droit fondamental puisse être remise en cause. Mais, de fait, ce droit n’est pas respecté. Le vrai risque pour le DALO est que les gens finissent par ne plus faire de recours, en pensant que cela ne sert à rien. Aujourd’hui, des demandes qui correspondent aux critères prévus par la loi sont rejetées par des commissions de médiation, qui s’assoient ainsi sur le droit dans certains départements. Des décisions ne sont toujours pas appliquées, plusieurs années après. C’est cela qui menace le droit et c’est pour cela que notre association est mobilisée, pour faire en sorte que les gens soient informés et accompagnés. Cela porte ses fruits, mais nous nous battons dans un contexte qui n’est pas favorable.
Les personnes mal-logées sont culpabilisées, on leur dit que c’est de leur faute. Mais ce n’est pas vrai, c’est celle de l’État qui ne s’est pas donné les moyens de faire respecter ce droit dont il est le garant. Pour une personne dépourvue de logement ou en grande difficulté, entendre, dans la bouche d’un juge, que ce n’est pas elle qui est en faute, mais que c’est la puissance publique qui n’assume pas ses responsabilités, c’est aussi un instrument de dignité. Même s’il faut bien sûr ensuite que la décision soit mise en œuvre concrètement. Nous préférerions que cela se passe plus simplement, sans avoir à aller devant une commission de médiation ou au tribunal administratif, mais c’est quand même un moyen de pression important.
Photo : Bernard Lacharme