Le réseau Wresinski Écologie et Grande pauvreté d’ATD Quart Monde a organisé le 9 janvier un débat sur le thème “Écologie : quels modes d’action pour lutter ensemble ?”. Marie Cohuet, activiste à Alternatiba, Étienne Godinot, vice-président de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits, et Marion Navelet, militante Quart Monde impliquée dans la lutte pour la défense des jardins d’Aubervilliers, se sont interrogés sur les manières de faire converger les luttes en permettant à chacun de trouver sa place.
“On s’est rendu compte très vite que, si on ne pensait pas la question sociale avec la question écologique, on allait perdre dans tous les cas, et très gros.” Ce constat posé par Marie Cohuet, activiste au sein du mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, Alternatiba, est aujourd’hui partagé par de nombreuses associations. Mais la manière de faire converger les luttes, de réfléchir ensemble et de partir des besoins et envies des personnes en situation de pauvreté interrogent encore les différents collectifs. Marie Cohuet est pour sa part convaincue des liens entre les enjeux sociaux et environnementaux. Elle prend notamment l’exemple de la rénovation thermique des logements : “si on met en place un plan de rénovation, les habitants vont moins dépenser en chauffage, cela va libérer du budget, mais aussi réduire les émissions de CO2… Des batailles comme cela peuvent porter des fruits très rapidement, autant pour l’écologie que pour le social et, dans tous les cas, si elles sont gagnées, elles peuvent être vertueuses”.
Militante Quart Monde, Marion Navelet s’est pour sa part mobilisée pour la sauvegarde des jardins ouvriers d’Aubervilliers, en région parisienne, menacés par des projets de construction pour les Jeux Olympiques de 2024. “Ils voulaient construire une piscine et un solarium. Les gens ont été expulsés des jardins, puis les pelleteuses sont arrivées et ont démoli les jardins. Nous avons porté plainte. L’État a été condamné. C’est ridicule de supprimer tous les espaces verts. Cela permet aux gens d’avoir quelques légumes, mais c’est aussi un lien social, une manière de se connaître, de faire un repas partagé…”, explique-t-elle.
“Conscientiser les risques”
Mais quels modes d’actions utiliser pour que chacun trouve sa place ? Étienne Godinot , vice-président de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits, invite à “réhabiliter les conflits, la notion de combativité, nécessaire pour exprimer nos besoins, aspirations, droits…” Il rappelle que “la non-violence, c’est l’exercice d’un rapport de force pour rétablir une situation de droits, pour rééquilibrer les plateaux de la balance et permettre à des gens opprimés ou sans droit, d’exister et de faire valoir leurs droits”. Les moyens d’action décrits sont multiples, de la manifestation au blocage, en passant par la grève ou encore le boycott. Dans tous les cas, il précise que “l’humour est très important dans l’action non-violente”, qu’il est nécessaire de “ne pas toujours être dans l’opposition, mais d’être aussi dans le programme constructif” et surtout d’avoir “un objectif clair, limité et possible”.
Pour Marie Cohuet, la manière dont on lutte est donc quasiment aussi importante que ce pourquoi on lutte.”Si tu gagnes, c’est toi qui construis ensuite la société, donc la manière dont tu luttes et avec qui sont des questions fondamentales.” Elle pointe ainsi la nécessité de “prendre soin les uns des autres” dans les mouvements de lutte et de “conscientiser les risques” que l’on prend en participant à une action : l’amende, la garde à vue, la perte d’emploi, les coups… Tout le monde ne peut pas forcément gérer ces conséquences de la même manière. Elle souligne donc la nécessité de réfléchir avec les personnes, en amont, à toutes les implications que cela peut avoir sur leur vie.
“Dans les milieux militants, il y a parfois une certaine glorification des personnes qui prennent des risques. Certains rôles sont beaucoup moins valorisés : la base arrière communication, les personnes en cuisine, celles qui font les pancartes… Mais pour que chacun puisse s’engager à la hauteur de sa vulnérabilité et selon son envie, il faut aussi qu’on construise, dans nos mouvements, une culture du soin et de ne pas simplement glorifier les rôles les plus exposés”, détaille-t-elle.
Les intervenants constatent en outre une répression croissante des actions. La désobéissance civile reste pourtant “une respiration de la démocratie. Quand la loi cautionne l’injustice du désordre établi, c’est non seulement un droit, mais c’est un devoir de désobéir à la loi”, rappelle Étienne Godinot. Marie Cohuet appelle donc à être “vigilants face aux tentatives de criminaliser la désobéissance, sinon on risque de perdre des outils démocratiques”. Julie Clair-Robelet
Photo : Soirée-débat Écologie : quels modes d’action pour lutter ensemble ? au Centre national d’ATD Quart Monde à Montreuil le 9 janvier 2023.