Le gouvernement a fait part de sa volonté de baisser son soutien financier à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, lancée par ATD Quart Monde avant d’être rejoint par d’autres partenaires et de créer l’association TZCLD. On a posé trois questions à Anne-Marie De Pasquale, déléguée nationale d’ATD Quart Monde, pour faire le point.
Que signifie l’annonce du gouvernement de réduire sa contribution à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée ?
En 2015, ATD Quart Monde a publié une étude évaluant le coût de la privation durable d’emploi pour les finances publiques à 18 000 euros par an et par personne – et c’est une fourchette basse puisque tous les coûts n’ont pas été pris en compte. Territoires zéro chômeur de longue durée repose sur l’idée de réaffecter ce coût du chômage de longue durée au financement d’emplois en CDI, au SMIC et à temps choisi pour les chômeurs de longue durée volontaires afin de réaliser des travaux utiles localement, mais non mis en œuvre car jugés peu rentables pour le marché classique.
Concrètement, cette réaffectation se matérialise par une Contribution au Développement de l’Emploi (CDE) financée par l’État et le Département et versée aux Entreprises à But d’Emploi (EBE) créées dans le cadre de Territoires zéro chômeur de longue durée. Alors que cette contribution de l’État était jusqu’alors fixée à 102 % du SMIC par an pour chaque salarié travaillant à temps plein, le gouvernement projette de l’abaisser à 95 % du SMIC à partir du 1er octobre 2023.
Quelles peuvent être les conséquences de cette décision sur l’expérimentation ?
Il faut savoir que les Entreprises à But d’Emploi mises en place dans le cadre de l’expérimentation font déjà face à des contraintes très fortes et inédites par rapport aux entreprises dites « classiques » : embauche sans sélection, temps de travail choisi par les salariés, non concurrence et obligation de réaliser la grande majorité des activités sur un territoire donné. Dans ces conditions, atteindre l’équilibre économique est un défi. Certaines y sont parvenues après plusieurs années, d’autres s’en rapprochent. Or, une baisse de contribution de l’Etat remet en cause ces bons résultats et peut décourager les acteurs du projet. Exemple : une Entreprise à But d’Emploi réalisant 5000 € de chiffre d’affaires par salarié à temps plein – ce qui est une bonne performance – devra réaliser 34 % de chiffre d’affaires supplémentaire pour faire face à ce désengagement de l’Etat. D’ailleurs, en 2019, lors de la première phase expérimentale, le gouvernement avait déjà diminué sa contribution à 95 % du SMIC, mettant en danger les EBE dont il avait dû finalement combler les déficits par des dotations exceptionnelles. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs !
Par ailleurs, comme toute entreprise – et encore plus du fait de leurs fortes contraintes – les Entreprises à But d’Emploi ont besoin d’évoluer sur la durée dans un cadre financier stable. C’est aussi une nécessité liée au caractère expérimental du projet Territoires zéro chômeur de longue durée : on ne peut mener correctement une expérimentation si on change les données de départ en cours de processus, particulièrement quand il s’agit de financements.
Accroître fortement la pression financière sur ces entreprises les conduirait mécaniquement à freiner fortement les embauches, particulièrement celles des personnes les plus éloignées de l’emploi. Or, la force du projet Territoires zéro chômeur de longue durée, c’est justement d’offrir à ces personnes – qui n’en ont aucune – une perspective d’emploi ! Et ça marche ! Un ou deux ans après leur embauche la grande majorité des chômeurs de longue durée embauchés dans le cadre de l’expérimentation sortent quasi définitivement des difficultés : ils n’ont plus besoin de recourir aux services sociaux, leurs enfants vont mieux, c’est leur avenir qui change. En risquant de laisser de côté les personnes les plus pauvres par un renforcement de la pression financière sur le les Entreprises à But d’Emploi du projet, c’est cette chance unique d’en finir avec la grande pauvreté et sa reproduction qui risque d’être gâchée.
Qu’est-ce qui, selon vous, peut justifier ce désengagement de l’État ?
Rien ne justifie un tel coup de rabot dans le soutien financier qu’apporte l’Etat à Territoires zéro chômeur de longue durée. A l’heure où le gouvernement répète que son objectif est de viser le « plein emploi », c’est incompréhensible.
Et ce n’est pas une question de coût : aujourd’hui, le montant de la contribution de l’État est de 102 % du SMIC par an pour chaque salarié travaillant à temps plein, soit, en ajoutant la contribution du Département, 24 600 € par salarié et par an. Le projet TZCLD est, de toutes les politiques mises en œuvre pour créer ou sauvegarder des emplois, la moins coûteuse. Qu’il s’agisse des exonérations de cotisations sur les bas salaires, des crédits d’impôt pour les services à la personne, du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE)1, le coût par emploi créé ou sauvegardé de ces différentes mesures varie entre 40 000 € et 180 000 €.
Rien ne justifie donc de mettre en danger les Entreprises à But d’Emploi et la capacité des territoires à rendre effectif le droit à l’emploi en abaissant cette contribution. D’autant que le nombre de territoires engagés dans l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée étant limité, le budget global de l’expérimentation reste faible pour l’État.
Même si elle ne touche aujourd’hui qu’un nombre limité de territoires, son enjeu sur le long terme est considérable : elle porte la promesse d’un plein emploi réel qui touche les personnes les plus éloignées de l’emploi. Il importe donc aujourd’hui de lui donner toutes les chances de réussir !
1 qui a été transformé en exonération de cotisations sociales.