Militante Quart Monde “depuis le berceau”, Pascalle Poullain se bat contre “les étiquettes qui collent à la peau” des personnes en situation de pauvreté.
Le bulletin scolaire de sa fille Lylou en main, Pascalle est stressée. Elle voit bien qu’il n’y a quasiment que des “A” et qu’il est bien indiqué que l’enfant passe en CE1, mais elle ne retient que les remarques négatives de l’institutrice sur les “efforts à faire en mathématiques”. “J’avais tellement peur de l’échec et qu’elle refasse le même chemin que moi. J’avais mis en place du soutien scolaire avec l’école et avec une alliée d’ATD Quart Monde pour l’aider. J’ai vécu le confinement comme si c’était un combat. Je devais prouver à la maîtresse que j’étais capable de faire des choses.”
À 40 ans, Pascalle reste marquée par un “très mauvais souvenir” de l’école. “J’étais toujours la dernière de la classe. Ma maman souffrait d’alcoolisme et, quand elle venait à l’école, c’était tendu. Je n’ai pas eu la chance d’avoir de l’aide. Quand je pense à l’école, je me revois en train de pleurer sur la table de la cuisine à cause de poésies que je n’arrivais pas à apprendre.” Ses relations difficiles avec sa famille d’accueil et l’appréhension des week-ends durant lesquels elle retrouvait sa mère prenaient alors toute la place dans sa tête de petite fille et ne lui permettaient pas d’apprendre sereinement.
Les seuls moments où elle pouvait souffler un peu étaient lors des sorties avec le groupe Tapori d’ATD Quart Monde, qu’elle connaît “depuis le berceau”. L’un de ses premiers souvenirs avec le Mouvement est ainsi un voyage à Paris. “J’avais 5 ou 6 ans et j’étais tellement fière de ma maman. Quand elle partait avec ATD Quart Monde, c’était quasiment les seuls jours où elle était à jeun.”
« Peur des services sociaux »
Originaire de Dunkerque, Pascalle arrive à Brest à l’âge de 15 ans. Trois ans plus tard, elle donne naissance à sa première fille, Alexandra. Battue par son compagnon, elle est alors dirigée par les services sociaux vers un hôpital psychiatrique, puis son enfant est placé. “Ils ont découvert que j’avais une partie du cerveau qui était cassée parce que ma mère me tapait. Mais on m’a donné tellement de médicaments que je suis devenue vraiment un légume.” À sa sortie de l’hôpital, Pascalle se bat pour revoir sa fille. “La famille d’accueil a pris mon rôle de mère. Les services sociaux m’ont beaucoup jugée et m’ont mis des étiquettes qui m’ont collé à la peau. Plus de 14 ans après, alors que j’attendais Lylou, ils voulaient déjà la placer dès la naissance, parce que j’avais un passé psychiatrique. Ils ne m’avaient pas vu changer.”
Elle n’a quasiment plus de contact avec sa fille aînée aujourd’hui et regrette la manière dont elle a été “mise de côté”. “Avec l’Aide sociale à l’enfance et la famille d’accueil, on a essayé de travailler ensemble pendant toutes ces années. Mais dès qu’ Alexandra a eu 18 ans, du jour au lendemain, je n’ai plus eu aucune nouvelle d’eux. Il n’y a même pas eu un rendez-vous pour se dire au-revoir.”
Elle vit toujours dans “la peur des services sociaux à qui il faut sans cesse rendre des comptes”. Pour les vacances d’été, elle a ainsi fait en sorte que Lylou parte en colonie. “Mais est-ce qu’on ne va pas me le reprocher ensuite ?” se demande-t-elle, anxieuse. Même si cette peur ne la quitte jamais, elle a appris à “ne pas mettre tous les professionnels dans le même sac, grâce à ATD Quart Monde.” Deux alliés du Mouvement sont devenus pour elle des “piliers de vie” et elle a participé à plusieurs Universités populaires Quart Monde et co-formations en Croisement des savoirs et des pratiques. “Ça m’a permis d’avancer et de voir que j’avais le droit de parler et pas seulement de fermer ma bouche. Quand je suis arrivée à ATD Quart Monde, j’étais une petite fille timide, maintenant je prends la parole.”
Faire changer la société
Pascalle est maintenant décidée à se faire entendre “pour que les autres parents ne subissent pas la même maltraitance et pour faire changer des choses dans la société”. Elle veut aussi tenir une promesse faite au moment du décès de sa mère, il y a dix ans. “Je lui ai promis que j’allais me défendre et que je ferai en sorte que toutes les violences qu’elle avait vécues ne se reproduisent pas. En tant que militante Quart Monde, je veux qu’on arrête de faire souffrir les mamans, de mettre une étiquette ‘méchant’ sur les parents en difficulté, de mettre les gens dans des cases dès le CP.”
Aujourd’hui, Pascalle commence à prendre confiance en elle et a envie de vivre sans qu’on lui dise ce qu’elle doit faire. “On me dit que j’ai un caractère de chien, que je suis en colère, qu’il faut que je me repose. Mais je n’ai pas envie de me reposer, j’ai des choses à dire, c’est ma façon de l’exprimer, il faut l’accepter”. Elle espère désormais “une vie meilleure”, travailler, renouer les liens avec sa fille aînée et surtout “arrêter d’entendre de belles promesses qui ne se réalisent jamais”.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de septembre 2021.
Photo : Pascalle Poulain à Brest en juillet 2021 © JCR, ATD Quart Monde