Dans un avis adopté au Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 24 mai, Isabelle Doresse, vice-présidente d’ATD Quart Monde et membre du CESE au nom du Collectif Alerte, et Agnès Popelin-Desplanches, administratrice de France Nature Environnement, avancent 20 préconisations « pour une politique publique nationale de santé-environnement au cœur des territoires ». Isabelle Doresse détaille, dans une interview, les enjeux de cet avis, notamment pour les personnes en situation de pauvreté.
Quel était l’objectif de cet avis ?
À la fin de la dernière mandature, le CESE s’était engagé à faire un rapport sur le sujet santé-environnement. Ce sujet est pour nous une priorité politique à mettre en œuvre, car on voit aujourd’hui qu’il existe un lien très fort entre la disparition de la biodiversité, les pollutions et les problèmes de santé. Il est vraiment nécessaire de prendre conscience que notre santé dépend directement de la santé de la biodiversité.
Ce rapport a également pour objectif de montrer que les personnes les plus précaires sont les plus exposées aux risques environnementaux et sont celles qui ont le plus de problèmes d’accès aux soins, comme nous l’ont montré notamment les trois membres d’ATD Quart Monde que nous avons auditionnés. Les personnes en situation de pauvreté sont les plus concernées et il est indispensable de les mettre au cœur de la réflexion.
Quelles sont les préconisations pour améliorer la situation ?
Il faut faire de ce sujet un objectif central et transversal des politiques publiques. Il y a tellement de choses à mettre en lien pour mettre en œuvre les bonnes solutions politiques : l’état de l’environnement, l’état de santé des personnes, comment les gens vivent, quels sont leurs modes de vie, quelle est leur histoire aussi, car certaines personnes sont exposées très jeunes à des produits chimiques et des maladies peuvent se déclarer 30 ou 40 ans plus tard… La solution est sans doute de faire des analyses très fines au niveau des territoires, en association tous les habitants, et en priorité les plus précaires, pour réfléchir ensemble à l’amélioration de l’environnement, du cadre de vie, de la santé des personnes… Il faut ensuite faire remonter ces innovations et propositions locales pour consolider une politique nationale.
Il ne faut pas nécessairement inventer de nouveaux outils, parce que les collectivités en ont déjà beaucoup à leur disposition, notamment dans le cadre de l’aménagement du territoire. Elles ont les clés aujourd’hui, le tout c’est le changement de regard et de modes d’action. Pour cela, il faudrait une forte volonté politique, pour avoir une approche systémique sur la préservation de l’environnement et de la santé. L’économiste Éloi Laurent, que nous avons auditionné, préconise de mettre au centre de la société l’objectif de la pleine santé, au lieu de celui du plein emploi, et que l’indicateur central devienne l’espérance de vie en bonne santé plutôt que le produit intérieur brut.
Nous avons également préconisé l’organisation d’un débat sur le financement de la santé-environnement. Des taxes sur les activités ayant un impact négatif sur la santé et l’environnement devraient être affectées pour la réparation des dégâts écologiques créés, mais aussi pour la réduction des inégalités.
Comment cet avis a-t-il été reçu par les autres membres du Conseil économique, social et environnemental et quel peut être son impact ?
L’avis a été adopté le 24 mai, avec 116 voix pour, 35 voix contre et 8 abstentions. Il y a eu une opposition marquée du groupe des entreprises. Cela montre que le sujet fait débat. Mais notre objectif était de faire un avis pour poser le cadre sur ce sujet très large. Nous espérons maintenant que d’autres avis seront publiés pour décliner ou approfondir les préconisations en les appliquant à des domaines particuliers, comme la santé-environnement au travail par exemple, que nous n’avons pas du tout abordé.
Concrètement, nous espérons en outre le développement d’une approche globale de la gestion des risques fondée sur le principe de précaution. Aujourd’hui, environ 120 000 substances chimiques sont mises sur le marché européen, mais une faible part sont évaluées. Il n’y a pas vraiment de débat et de décision politique autour de tout cela, alors que ce sont des produits qui peuvent provoquer des milliers de décès par an et des maladies graves. Nous estimons que le législateur ne doit pas se contenter de formules générales ambiguës, substance par substance, qui déresponsabilisent, mais il doit identifier les grandes classes de risques par famille de substances non seulement pour la santé humaine, mais aussi pour les écosystèmes, et définir un cadre strict d’utilisation, de façon générique.
Depuis 2008, l’approche “One Health” (Une seule santé), incluant la santé humaine, animale et environnementale est développée dans de nombreuses organisations internationales. Nous souhaitons que ce sujet s’installe réellement dans le débat public. Deux rapports sur le sujet santé-environnement ont également été publiés récemment à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous espérons que la convergence des trois assemblées sur ce thème entraîne une mobilisation, pour aller vers une politique de santé-environnement globale et cohérente, garantissant à chacun le droit à un environnement respectueux de sa santé. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet
Photo : Isabelle Doresse à la tribune du Conseil économique, social et environnemental le 24 mai 2022.