Un emploi stable améliore de nombreux aspects de la vie d’une personne et de son entourage, mais peut également entraîner des difficultés. C’est sur ces impacts, positifs comme négatifs, que se sont penchés les membres du réseau Wresinski Emploi-Formation samedi 10 avril, à l’occasion d’une rencontre en visioconférence.
“Signer un contrat de travail a changé pour moi beaucoup plus que ce que je pensais“, affirme Dorothée Kennedy, couturière à la Fabrique de l’emploi, Entreprise à but d’emploi de Loos, dans le Nord. Invitée à témoigner lors de la réunion du réseau Emploi-Formation d’ATD Quart Monde, elle dresse la liste de tous les changements que ce premier emploi stable a engendré pour elle. “Cela a changé le regard que je porte sur moi-même. J’ai toujours su que j’étais capable de beaucoup de choses, mais à ce niveau là, c’est au-delà de ce que je pouvais penser ou espérer. Le regard de mes enfants et de ma famille aussi. Ça a tout changé dans ma vie sociale aussi. Quand je passe dans le quartier maintenant, je vois des collègues ou même des clients et on discute cinq minutes. Avant, on était très étriqué dans notre petit monde, sans se rendre compte de ce qu’on vivait.”
Pour Fabienne Grosjean, aujourd’hui travailleuse sociale, la reprise d’un emploi “détend l’atmosphère au quotidien. La peur est moins présente parce qu’on a un salaire régulier, cela permet d’avoir un budget plus équilibré. On accepte plus facilement les invitations, parce qu’on sait qu’on pourra inviter en retour. On se sent plus valorisé quand c’est notre salaire qui permet de remplir notre réfrigérateur. L’insouciance de mes enfants a aussi repris un peu sa place, parce que ma galère leur collait à la peau jusque dans leur façon d’être”.
Dominique Houliez, assistant des ventes en ressourcerie et administrateur de la Fabrique de l’Emploi, évoque pour sa part “une nouvelle vie, un renouveau complet”. “Cela signifie ne pas avoir à demander à ses enfants de payer une facture à notre place, être fier de pouvoir sortir le matin, content de se lever“, affirme-t-il.
Impact sur la santé
Tous constatent en outre des conséquences positives sur leur santé. Ainsi, Catherine Delmotte, employée dans le pôle “vie de quartier-service aux habitants” de la Fabrique de l’emploi, à Tourcoing, a eu récemment un problème de santé qui a nécessité un arrêt de travail de cinq mois. “Si je n’avais pas travaillé, je ne me serais pas soignée parce que je n’en aurais pas vu l’utilité. Je serais restée avec ma douleur à l’épaule. Peut-être que je me serais retrouvée paralysée. Je n’aurais pas fait mon suivi médical.”
La crainte d’un dépassement d’honoraires, mais aussi du jugement des professionnels de santé pousse parfois une personne sans emploi stable à “laisser sa santé de côté”, comme l’indique Évelyne Nys, tricoteuse à la Fabrique de l’emploi à Loos. “Je faisais soigner plus vite mes enfants que moi”, se souvient-elle. Le fait d’avoir un salaire, mais aussi une mutuelle et un accès à la médecine du travail permet souvent d’accéder à des soins préventifs, sans attendre.
“Les corps se réveillent”
Les effets positifs d’un emploi stable sur de nombreux aspects de la vie quotidienne sont donc nombreux, “pour autant, tout n’est pas rose et simple”, tempère Ghislain De Muynck , directeur de la Fabrique de l’emploi. “Le travail, ça peut abîmer aussi”, rappelle-t-il. Dans cette Entreprise à but d’emploi, “90 % des salariés étaient à temps plein au début en 2017. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 61 %. Beaucoup de salariés ont pris conscience qu’ils n’étaient pas capables physiquement de travailler à temps plein. Ce n’est pas une question de savoir-faire. Le rythme ne leur convenait pas, parfois temporairement, le temps de reprendre des habitudes, de trouver leur place, mais pour certains c’est plus durablement”, décrit Ghislain De Muynck.
Le même constat est fait par Daniel Le Guillou président de l’Entreprise à but d’emploi Actypoles-Thiers, dans le Puy-de-Dôme. “Les corps se réveillent et au bout de deux ou trois ans il y a parfois une incapacité à suivre le rythme de travail, notamment à temps plein. » L’augmentation des arrêts maladie peut en outre désorganiser le travail, mais aussi « avoir des effets sur la solidarité dans l’entreprise. On a plutôt tendance à se juger les uns les autres”, constate Ghislain De Muynck.
“Un travail soutenable pour tous”
Un emploi stable peut également “faire basculer dans le camp de ceux qui n’ont pas à se plaindre, parce qu’ils ont du travail. Pourtant, quand on travaille, il y a aussi de bonnes raisons de se sentir oppressés, notamment quand on fait partie des catégories socio-professionnelles les plus basses. Les journées sont rythmées par un travail souvent harassant, parfois humiliant. On passe des craintes liées à l’absence d’un emploi stable aux craintes de perdre celui qu’on a”, témoigne Fabienne Grosjean.
Elle souligne ainsi la nécessité de faire évoluer “le rapport que notre société a au travail et le type d’économie qu’elle valorise”. C’est donc bien “la qualité du travail qu’il faut changer”, ajoute Daniel Le Guillou. “L’objectif est d’avoir un travail soutenable pour tous et pas seulement dans les Entreprises à but d’emploi”, conclut le président d’Actypole-Thiers. Julie Clair-Robelet
Pour contacter le réseau Wresinski Emploi-Formation : departement.emploi@atd-quartmonde.org
Photo : Territoires zéro chômeur de longue durée.