Du 23 au 28 avril dernier, 28 jeunes qui ont l’expérience de la pauvreté et de l’exclusion et venus de 8 pays européens se sont retrouvés à Strasbourg, au Centre européen de la jeunesse. Une rencontre qui clôt plus d’un an de travail initié par ATD Quart Monde sur les besoins et les espoirs de cette jeunesse laissée pour compte. Véritable pari pour ces filles et ces garçons qui ont pu témoigner de leur vie difficile, mais surtout de leur fierté d’avoir construit les bases d’un plaidoyer pour lutter contre l’isolement, le harcèlement et pour avoir plus de choix.
“On s’était donné rendez-vous l’été dernier… et ca y est on y est !” Vendredi 28 avril 9h30. Dans la grande salle du Centre européen de la jeunesse, dans le quartier des institutions européennes à Strasbourg, la tension est à son comble : dans moins d’une heure, des représentants de plusieurs institutions européennes chargés des questions de la jeunesse seront là pour écouter Ionut, Naomie, Mathias, Craig… Originaires de Roumanie, de Belgique, d’Irlande, de Suisse de Grande-Bretagne, de Pologne, du Luxembourg ou de France. Chacun s’affaire à réviser son texte, sa scénette, son mime. Sur les visages, on lit la fatigue d’une semaine intense, le sérieux du travail et l’appréhension d’un moment espéré et préparé depuis des mois. “Notre objectif est de faire exister la grande pauvreté des jeunes dans les instances européennes”, explique Eve Le Roux, de la Dynamique jeunesse européenne d’ATD Quart Monde.
Durant plus d’un an, Eve, Lou Borderie et leur équipe ont cherché à faire émerger de l’expérience de vie de plusieurs dizaines de jeunes issus de milieux défavorisés une réflexion collective sur des sujets choisis et voulus par les jeunes eux mêmes : “on vit de l’isolement, on veut du collectif”, “on vit du harcèlement et des discriminations”, “on veut pouvoir avoir plus le choix dans sa vie”. Avec un mot clé : repenser la société pour pouvoir y trouver sa place.
“Être écouté et trouver des solutions”
Mathias a 19 ans, il est originaire de Mons en Belgique. Depuis son enfance, il a connu le harcèlement et l’isolement. “Moi je ne suis pas sociable car je ne connais pas la confiance. Mais ici je me suis senti compris, pas jugé et au bout de 4 jours j’ai commencé à parler à tout le monde, même aux anglophones Grâce à ça j’ai trouvé le courage de parler en public devant tous ces gens inconnus. Je n’aurais jamais cru y arriver avant. Je suis fier.” La fierté ! Un sentiment partagé par ces jeunes qui, durant une semaine, ont écrit et tourné un court métrage, réalisé un poster, répété un mime pour illustrer, devant les institutionnels invités, leur volonté de sortir de leurs conditions d’exclusion : être accepté pour ce que l’on est, pouvoir construire sa vie avec le soutien des autres, être aidé à avancer. Steven, un jeune alsacien, raconte devant le public : “on a écrit une histoire collective à partir de nos propres histoires de harcèlement, beaucoup ici ont connu le harcèlement à l’école, dans les foyers, dans les bus… Le harcèlement , la discrimination c’est pas des enfantillages. On a fait ça pour être écouté et pour trouver des solutions”.
Écoutés, ils et elles l’ont été. Les représentants du Conseil de l’Europe, du Cnajep (plate-forme des organisations de jeunesse et d’éducation populaire françaises) ou du Centre européen de la jeunesse présents ce jour-là à Strasbourg ont entendu le message de cette jeunesse en quête de reconnaissance. Ils ont également été invités à exprimer, devant les jeunes réunis cette fois en groupes restreints, leurs réactions face à ces revendications très politiques. Mara Georgiescu travaille au Fond Européen pour la Jeunesse, un organe du Conseil de l’Europe qui distribue des subventions à des associations de jeunesse dans toute l’Europe : “votre présentation m’a beaucoup touchée. Vous avez soulevé des questions graves et vous avez proposé des solutions. Ça doit nous obliger, au niveau du Conseil de l’Europe, à repenser la distribution de nos subventions”, confie la responsable roumaine devant trois jeunes français, belge et roumain, “comment faire pour que l’argent puisse aider les associations qui travaillent avec les jeunes les plus en difficulté”. Ionut est satisfait : “on s’est senti écouté, on a pu parler librement“.
“Repartir avec un nouveau souffle”
La tension retombe, les sourires sont là, la fatigue aussi. Martin Deville, le responsable de la Dynamique Jeunesse à ATD Quart Monde France félicite : “vous les jeunes délégués, vous avez eu le courage nécessaire pour voyager loin de chez vous, pour prendre la parole devant des inconnus”. S’adressant aux invités, Martin poursuit : “les jeunes vous font une grande confiance en vous partageant ainsi leurs espoirs. Votre présence soutient notre démarche”.
Dans la grande salle du centre européen de la jeunesse, on s’exprime en français, en anglais, en polonais, en roumain, on joue au ping-pong et on fume une cigarette ensemble dehors sous une pluie fine. C’est l’heure des confidences et du stress qui retombe. “Il y aura un avant et un après, confie Styven. J’étais pas émotif, et là j’ai pu casser ma carapace et j’ai pu pleurer devant les autres.” Gwendoline, sa compagne le regarde avec tendresse : “c’est vrai que je t’avais pas souvent vu pleurer”. Styven poursuit : “tu crois que ton histoire est la pire et tu découvres des histoires plus difficiles chez les autres qui viennent d’autres pays”. Ensemble, on a pu réfléchir et proposer des solutions ; ça vaut vraiment le coup de rencontrer d’autres personnes : je repars avec un nouveau souffle pour faire bouger les choses dans ma ville de Caen.”
Un autre jeune ajoute : “on a tous un peu le même vécu, on a connu le même passé, familles d’accueil, foyer, exclusion. Depuis le début de ce travail avec ATD Quart Monde, j’ai appris beaucoup de choses. Je suis très heureux d’avoir réussi à aller jusqu’au bout d’un projet qui me dépasse un peu : on a su s’ouvrir avec confiance et je me sens un peu libéré, mon caillou est un peu moins lourd”.
“Notre démarche était bien de proposer à ces jeunes européens de dépasser leurs situations individuelles. Ils se sont sentis soutenus en voyant que d’autres vivent les mêmes choses qu’eux”, justifie Eve Le Roux. “Pour nous aussi c’est bouleversant, au début de l’aventure certains jeunes ne nous regardaient pas dans les yeux et aujourd’hui ils s’expriment devant 60 personnes. C’est un moment incroyable ! Mais ils repartent aussi avec des attentes. Nous devons réfléchir à la poursuite de cette dynamique jeunesse européenne.” La suite ? Mettre par écrit toute cette pensée collective et la défendre inlassablement auprès des professionnels et des décideurs pour faire bouger les lignes. Christine Muratet
Photo : Séance plénière et présentation des messages portés par les jeunes européens membres d’ATD Quart Monde au Conseil de l’Europe, du 23 au 28 avril. © Peps