Le réseau Wresinski Santé réunit régulièrement une cinquantaine de membres d’ATD Quart Monde et de professionnels de santé. Ensemble, ils travaillent à l’amélioration des pratiques et de l’accès aux soins.
Le travail du réseau Wresinski Santé d’ATD Quart Monde fonctionne comme “une piqûre de rappel” pour Marie-Madeleine Santin. Médecin généraliste retraitée dans le Bas-Rhin, elle constate que “dans les textes, les droits à la santé, à la dignité de tous sont formellement reconnus. Mais dans notre travail quotidien, on peut parfois les oublier”. Béatrice Dietsch, également médecin retraitée, trouve dans ce réseau “une source de partage, de meilleures connaissances de ce que vivent les personnes en précarité, parce qu’on ne l’apprend pas à la fac”. Elle a ainsi remarqué que ce n’était “pas toujours facile, dans un cabinet médical, de décrypter ce qu’un patient dit et de se faire comprendre, avec le jargon médical qu’il faut savoir abandonner”.
Odile Herbet, militante Quart Monde de la Loire, confirme : “Pendant 17 ans, j’ai vécu sans chauffage. Quand j’étais malade, mon médecin me disait ‘restez chez vous au chaud’. Mais je ne pouvais pas dire que je n’avais pas de chauffage, j’avais honte. C’est un monde qui est très peu connu des médecins. Il y a parfois une grande incompréhension”. Le réseau Wresinski Santé permet ainsi de rassembler régulièrement des professionnels de santé et des personnes en situation de pauvreté “pour poser les choses, accepter de se faire bousculer, s’encourager et créer des rencontres”, explique Catherine Corbeau, médecin dans l’Hérault.
Si certaines avancées majeures, comme la création de la Couverture maladie universelle, découlent directement des travaux de ce réseau, ses membres admettent que l’objectif est avant tout de “tricoter des liens entre soignants et soignés”. Les échanges et les co-formations nourrissent ainsi les participants bien au-delà du réseau en lui-même. Béatrice Mouton, militante Quart Monde du Rhône, en parle ainsi à chaque professionnel de santé qu’elle croise : “il faut que les médecins comprennent qu’on a besoin d’être pris en considération et non mis de côté ou rejetés. Trop souvent, on s’écrase devant eux, on n’ose pas parler. Alors je rentre toujours dans le vif du sujet avec eux. Parfois, on fait un pas en avant, puis deux ou trois en arrière. Mais ce n’est pas grave, on ne lâche pas l’affaire”.
Impacts de la crise sanitaire
Au sein du réseau Santé, les sujets ne manquent pas : la question de la renonciation aux soins, la santé mentale, l’alimentation, la santé scolaire… Le dernier rapport publié concerne l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la santé des personnes en situation de pauvreté, sur leurs conditions de vie et sur leurs droits. Publié en mars 2022, il a été réalisé par douze personnes en situation de pauvreté et treize professionnels de santé. Cette étude montre que la crise a révélé et amplifié des vulnérabilités que de nombreuses personnes vivent au quotidien, en temps ordinaire.
Ses auteurs formulent en outre des préconisations. “La priorité en cas de nouvelle crise serait de faire un plan orange social, sur le modèle du plan blanc sanitaire, pour coordonner dès le début toutes les actions de proximité autour des personnes en situation de précarité”, explique Lucienne Soulier, militante Quart Monde de la Côte-d’Or. Ce rapport vise aussi à “alerter sur les dégâts importants causés par la crise et à mettre en lumière les pistes intéressantes qui ont été mises en œuvre pour sortir un peu des cadres et innover”, précise Catherine Corbeau.
Si une situation similaire se reproduisait, “les dirigeants ne pourraient plus dire qu’ils ne savaient pas et il serait impensable de tout fermer”, souligne Odile Herbet. Elle rappelle notamment que “des personnes se sont retrouvées dans des situations invivables, dans des appartements insalubres. Certaines n’ont pas pu renouveler leurs papiers et ont perdu leurs revenus. Il n’y avait plus de distributions alimentaires, plus de cantines pour les enfants, plus de consultations chez les psychologues…”, détaille-t-elle.
Aller dans la même direction
Ce travail, mené pendant toute l’année 2021 à partir de la parole, du vécu et de l’analyse de l’expérience de vie des personnes en précarité, a permis une réelle confrontation constructive avec les professionnels de santé. “Beaucoup ont été surpris par les perceptions des militants Quart Monde. C’est une bonne chose d’être entendus par eux, de voir que l’on peut se comprendre, aller dans la même direction. Ils peuvent ensuite transmettre cela à leurs pairs”, constate Georges Mouton, militant Quart Monde du Rhône. Les membres du réseau Santé regrettent cependant le manque de retour de la part des institutions et poursuivent la diffusion de ce rapport.
C’est cette transmission dans tous les secteurs de la société que vise aujourd’hui le réseau Wresinski Santé. “On se bat pour que tous les professionnels de santé puissent être formés à la question de ‘l’aller vers’, pour apprendre à entendre, sans juger et sans s’imposer. Mais, plus largement, la santé concerne tous les aspects du quotidien, que ce soit l’écologie, le travail, l’école, le numérique…”, souligne Catherine Corbeau. Elle lance donc un appel pour que le réseau se développe et continue de “tisser des liens”.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de septembre 2022.