“À l’abri de rien”, tel est le titre du documentaire qui a été projeté le 20 octobre 2020 à la Bibliothèque de la Part-Dieu de Lyon, dans le cadre de la Journée mondiale du Refus de la misère 2020. La projection a été suivie d’un débat avec trois associations – ATD Quart Monde, la Fondation Abbé Pierre, Médecins du Monde – et le photojournaliste Samuel Bollendorff, coréalisateur du documentaire. Anne-Cécile Hyvernat animait ce débat.
Réalisé à partir de situations collectées par la Fondation Abbé Pierre, “À l’abri de rien” dénonce la violence du logement indigne qui touche aujourd’hui 4 millions de personnes en France.
Le parti pris des réalisateurs a été de proposer des « surfaces d’écoute » : les personnes, d’abord interviewées, ont été ensuite photographiées dans leur lieu d’habitation. Le résultat est une suite d’images parlantes, produisant des portraits pudiques et dignes.
Ce sont des familles, des personnes seules, immigrées ou pas, vivant à Paris, ou en banlieue, à Marseille, à la campagne… Toutes vivent dans des logements indignes avec les conséquences que cela entraîne sur leur santé, sur l’éducation des enfants, sur leur économie, sur la honte vis-à-vis des autres et de soi-même.
La plupart de ces personnes ont basculé un jour dans la grande précarité suite à un accident de la vie : divorce, perte d’emploi…
Un documentaire qui soulève bon nombre de questions
Doris Mary, militante ATD Quart Monde, interpelle : « Comment travailler et étudier dans de telles conditions ? Comment les enfants peuvent-ils se construire ? Comment se soigner si déjà on ne mange pas ? Comment accepter que, Pierre, un des personnages, vive 3 ans dans le bois de Vincennes pour ne pas être vu, pour garder sa dignité ? Et de fait cet homme reste digne. Comment oser demander un loyer pour de tels logements ? »
Le confinement a révélé l’impossibilité de vivre dans un logement de 22 m² quand la famille compte 6 personnes, comme le montre un autre portrait du film. Comment accepter que les collectivités choisissent de payer des amendes plutôt que de construire des logements sociaux ? Et pourquoi tant de logements restent vacants dans nos villes ?
Doris Mary, qui se souvient avoir assisté à la douloureuse expulsion d’une famille, suggère que l’on pourrait éviter les expulsions en prévoyant des solutions avec le bailleur dès la première difficulté, car à partir de deux mois de loyers impayés, on ne peut plus rattraper.
« On doit demander aux services sociaux, comme aux gouvernants, de PENSER au lieu de PANSER. »
Selon Véronique Gilet, directrice de la Fondation Abbé Pierre Auvergne-Rhône-Alpes : « La Fondation cherche à rendre visible ces situations. Elle combat le mal-logement en recueillant des dons qui sont reversés aux associations pour faciliter l’accès au logement et réduire les expulsions ; 100 projets sont en cours en Auvergne-Rhône-Alpes. Elle peut se porter partie-civile pour aller au pénal comme à Marseille, après l’effondrement d’un immeuble. »
Le droit au logement est depuis peu dans la loi, il y a des avancées comme la loi DALO, mais une avancée juridique ne règle pas tout. « L’habitat indigne constitue surtout un vide juridique pour les locataires et beaucoup d’entre eux sont à la merci des propriétaires. On constate aussi une rupture dans l’accompagnement social : les politiques publiques sont datées. Elles s’appuient sur les ressources mensuelles quand la réalité actuelle est toute autre : on passe de périodes de travail au chômage, à l’auto-entreprise précaire… Les personnes fragilisées doivent alors frapper à toutes les portes. On manque de logement et les marchands de sommeil en profitent… »
Des avancées à venir ?
Néanmoins on avance : le confinement a permis de mettre la loupe sur ces situations et le sujet apparaît dans le plan de relance ou dans le projet d’encadrement des loyers en réflexion au niveau de la Métropole de Lyon. Des fenêtres s’ouvrent, notamment avec les équipes nouvelles, autour des squats, de la question de la solvabilité des ménages. Il y a eu, récemment, avec la Ville de Villeurbanne, la signature de la déclaration du droit des sans abri.
Pour la Fondation Abbé Pierre, le logement est un droit fondamental qui permet les autres droits. C’est un combat permanent.
Clotilde Neveu, chargée de la mission squat et bidonvilles et de la mission soins au sein de l’association Médecins du Monde, apporte son témoignage :
« L’association a pour but d’aller là où les autres ne vont pas mais aussi de rendre visible et de dénoncer, en particulier en faisant remonter ces situations auprès des instances qui nous invitent. Les trois quarts des personnes qui viennent dans nos centres de soins vivent dans des logements instables ou insalubres. Comme le montre dans le film l’image de la petite fille atteinte de saturnisme, le mal logement est néfaste à la santé et entraîne des problèmes digestifs, articulaires et dermatologiques sans parler des problèmes de santé mentale. Les personnes s’occupent d’abord de trouver de quoi manger, le soin passe après, ou encore elles ne font pas les démarches d’ouverture des droits. Les lieux de soins sont souvent éloignés de leur habitation. La prise en charge médicale est difficile : Que peut un médicament pour une bronchite si l’on vit dans un lieu sans chauffage ? »
Un appel à l’action
Une soixantaine de personnes participaient à cette soirée. Parmi elles, des militants d’ATD Quart Monde sont intervenus : l’un pour témoigner du cercle infernal entre absence de logement et recherche de travail, ou encore de la difficulté à se stabiliser après plusieurs années passées dans la rue, l’autre pour dire que rénover les logements donnerait du travail à ceux qui n’en ont pas.
A la question de savoir comment orienter les personnes en difficultés, Clotilde Neveu conseille les Maisons de la Métropole et Anne-Cécile Hyvernat indique l’existence d’un annuaire des organismes à disposition à la Bibliothèque. La Fondation Abbé Pierre a des permanences et des avocats pour l’aide administrative et juridique.
La conclusion de cette rencontre revient à Samuel Bollendorff qui appelle, au-delà de l’émotion et de la colère, à l’action et au militantisme. Selon lui, il s’agit d’un enjeu démocratique important car une population qui est dans la survie ne peut pas penser à un avenir collectif. Elisabeth Blachère
Photos : (1) Photo de l’affiche du documentaire “A l’abri de rien”
(2, 3 et 4) Soirée projection-débat © Yves Petit – ATD Quart Monde