Alliée d’ATD Quart Monde et autrice de la chronique cinéma dans différentes publications du Mouvement, Bella Lehmann-Berdugo était invitée par l’Association des journalistes de l’information sociale, jeudi 21 septembre, pour parler de la représentation de la pauvreté au cinéma et dans les médias, avec Alain Lopez, président du Festival du film social et Yasmina Younès, conseillère technique à l’IRTS Paris Île-de-France et membre du 5e collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
“La pauvreté, ce n’est pas une identité, ce n’est pas un statut, il faut penser à la personne qui est derrière les mots, les images…” Pour Yasmina Younès, c’est un peu un cri du cœur. Membre notamment du 5e collège du CNLE, composé de personnes en situation d’exclusion ou de précarité, elle regrette la “stigmatisation des personnes” dans de trop nombreux reportages ou films. Elle était invitée le 21 septembre par l’AJIS (Association des journalistes de l’information sociale) à s’exprimer devant des journalistes et des étudiants de l’école de journalisme du Celsa sur la représentation de la pauvreté dans les médias et au cinéma. “Ce qui me gêne, c’est quand on fait un zoom sur la personne et non sur la cause et les effets de la pauvreté. Je ne suis pas juste une personne dans la précarité, je vaux autre chose”, souligne-t-elle. Elle invite les journalistes, cinéastes ou documentaristes à toujours “faire avec la personne dont on parle. Qui mieux qu’elle pour parler de ce qu’elle vit ?”
Mais les images peuvent aussi être des outils utiles pour faire passer des messages. Ainsi, Yasmina Younes conseille régulièrement aux assistants sociaux qui l’accompagnent de regarder le film Moi, Daniel Blake, réalisé par Ken Loach. “Je l’utilise pour les interpeller, pour leur montrer la réalité face à la machine administrative et la complexité pour accéder à ses droits.”
Oser une vraie rencontre
Un film également très apprécié par Bella Lehmann-Berdugo, alliée d’ATD Quart Monde et membre de l’équipe d’organisation du festival La pauvreté sans clichés créé en 2015 par le Mouvement. “Cela se voit tout de suite, dans un reportage ou dans un film, si on a passé du temps en amont avec les personnes que l’on montre, si on veut présenter un reflet honnête de la société. Pour cela, il faut aller à la rencontre des gens et faire en sorte que les personnes ne soient pas vues uniquement à travers leurs manques : manque d’argent, de toit, de nourritures…”, souligne-t-elle. Ce travail a notamment été réalisé dans le film Les invisibles, de Louis-Julien Petit, parrain de la dernière édition du festival en 2019, ou encore dans Louise Wimmer, de Cyril Mennegun, avec notamment Corinne Masiero. Bella Lehmann-Berdugo incite les journalistes et les réalisateurs à “oser une rencontre qui va peut-être changer leur vision, à oser être étonnés”.
Elle constate que beaucoup de journalistes “n’ont pas beaucoup de temps pour leurs reportages. Ils viennent en accéléré chez les personnes en ayant une idée préconçue de la manière dont ils veulent montrer la pauvreté. Ils vont par exemple demander à la personne d’ouvrir son frigo pour montrer qu’il est vide. Mais oserait-on demander à une personne ‘riche’ d’ouvrir son frigo ? C’est un peu symptomatique de la manière dont certains travaillent, sans ouverture d’esprit, sans oser une vraie rencontre”, regrette-t-elle. Elle préconise notamment de “s’adresser directement aux personnes concernées et de ne pas faire parler les associations à leur place” et “d’écouter les savoirs concrets” des personnes en situation de pauvreté.
“Sensibilisation générale à l’autre”
Derrière les images censées représenter la pauvreté, “on oublie trop vite la personne et son histoire”, ajoute Alain Lopez, président du Festival du film social qui aura lieu du 10 au 12 octobre dans plusieurs villes de France. Parmi les près de 800 films visionnés par le comité de sélection de ce festival, il constate “une production très abondante, de qualité très inégale”. Vingt-et-un films ont été sélectionnés, des œuvres qui cherchent à “rendre sensible au vécu des personnes, à rentrer dans l’intériorité des personnes qui sont dans des situations difficiles et à essayer de la faire comprendre aux spectateurs”, précise-t-il.
Comme Yasmina Younes, Alain Lopez estime que les films peuvent être “un bon outil pédagogique”. “On a l’utopie de croire qu’en ouvrant le festival au plus grand nombre on participe à une sensibilisation générale à l’autre et aux difficultés qu’il est en train de vivre. Cela peut contribuer à ce qu’on se soucie un peu plus de l’autre, qu’on s’intéresse à toutes les situations de difficulté sociale qui empêchent les personnes de s’épanouir, d’aller jusqu’au bout de leur projet de vie, de leurs ambitions…”. En lien notamment avec plusieurs IRTS (Instituts régionaux du travail social), le festival entend également inciter “de plus en plus de jeunes à s’engager dans les métiers du social”, avec une vision réaliste et non misérabiliste des personnes en situation de précarité.
Photo : Table-ronde organisée par l’Ajis dans les locaux du Celsa, à Neuilly-sur-Seine, le 21 septembre 2023. © ATD Quart Monde