Ce mercredi 25 janvier, associations et bénévoles ont répondu à l’appel lancé par le Collectif des associations unies contre la loi Kasbarian-Berger, dite “loi anti-squat”. Rassemblés devant le Sénat, où cette proposition de loi doit être examinée à partir du 31 janvier, les manifestants ont dénoncé une loi rétrograde, injuste et inutile. Des membres d’ATD Quart Monde étaient présents : retour sur ce rassemblement et décryptage de cette proposition de loi.
Portée par le député de la majorité présidentielle Guillaume Kasbarian, cette proposition de loi vise à criminaliser les victimes de la crise du logement, en s’attaquant non seulement aux personnes qui occupent des locaux vacants, mais aussi aux locataires en situation d’impayés de loyer.
Alors que le squat d’une résidence principale ou secondaire est déjà puni par la loi d’1 an de prison, de 30 000 € d’amende et d’une expulsion sans jugement en 48h, le texte prévoit le triplement des sanctions encourues pour occupation illicite, passant à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. « Des peines inimaginables pour des personnes qui sont en général parmi les plus précaires, et dont le seul crime est de trouver refuge pour un temps dans des locaux désaffectés ou des bâtiments vides parce qu’il n’ont pas d’autres choix », commente Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde, présent lors du rassemblement devant le Sénat.
Par ailleurs, en élargissant la notion de “squatteur”, cette proposition de loi fait l’amalgame entre des situations d’une grande diversité. Ainsi, les mêmes peines pourraient être appliquées contre les locataires dont le bail a été résilié pour retard de loyer ou de charges, les personnes sans bail, hébergées, victimes de marchands de sommeil ou ne possédant qu’un bail oral, les accédants à la propriété surendettés qui perdent leur titre de propriété et même les grévistes occupant leur lieu de travail.
Une loi disproportionnée pour des phénomènes marginaux
Cette proposition de loi vise aussi à accélérer les expulsions locatives en réduisant tous les délais et en limitant la possibilité de résorber des retards de loyer. Ainsi, selon les défenseurs de cette loi tous les locataires en situation d’impayés de loyer seraient des voyous ne méritant que la prison. C’est évidemment faux. “S’il y a des locataires en situation d’impayés, c’est que les loyers sont bien trop chers. Si les loyers sont bien trop chers, c’est parce que rien n’est fait pour bloquer les loyers, ni pour freiner la spéculation foncière et immobilière. C’est parce que les pouvoirs publics n’ont de cesse de diminuer les aides au logement d’une part, et de taxer durement les HLM d’autre part, les empêchant ainsi de construire des logement sociaux accessibles à tous », rappelle Michel Platzer, responsable du département Logement d’ATD Quart Monde, au micro devant le Sénat.
En effet, aujourd’hui, certaines familles à faibles revenus sont contraintes de consacrer parfois plus de la moitié de leur budget à leur loyer. Pour ces familles en difficultés, les retards de paiement ne sont jamais loin. D’autant qu’avec l’inflation, la vie sur le fil est toujours plus fragile.
Sous couvert de protection des petits propriétaires face au squat de leur domicile, en réalité cette proposition de loi dite “anti squat” s’attaque donc potentiellement à toutes les personnes en situation de pauvreté ou confrontées à un accident de la vie. Dangereuse, elle pourrait jeter des milliers de foyers dans la rue, dès le premier retard de paiement de loyer.
Ainsi, pour Benoît Reboul-Salze, “cette loi est complètement disproportionnée : pour une centaine de cas de squats identifiés, elle va punir des milliers de gens en situation de précarité. On va se retrouver face à des situations catastrophiques : celles et ceux qui qui n’arrivent plus à payer leur loyer faute d’un salaire suffisant, d’accident de la vie ou de problèmes de santé auront le choix entre la rue ou la prison. C’est une bombe à retardement sociale”.
Pourtant, squats et loyers impayés sont des phénomènes marginaux. En 2021, le premier bilan de l’Observatoire des squats avait conclut “que le squat n’est pas un phénomène massif en France”, recensant moins de 200 squats en France. Concernant les impayés de loyers, un avis publié par la Défenseure des droits fin novembre 2022 fait état de seulement 2 % d’impayés sur l’ensemble des locations en France. Dans ce même document, Claire Hédon exprimait un avis défavorable sur la proposition de loi actuellement en discussion.
Combattre le mal-logement, pas les mal-logés.
“Aujourd’hui, il y moins de 200 squats pour 4 millions de mal-logés : les députés et sénateurs doivent revoir leurs priorités. C’est le mal-logement qu’il faut combattre pas les mal-logés”, rappelle Robin Humbert, membre d’ATD Quart Monde mobilisé devant le Sénat. “Que proposent aujourd’hui les pouvoirs publics face à cette situation ? Mettre en œuvre le droit au logement pour tous en construisant davantage de logements sociaux accessibles aux plus pauvres et en faisant appliquer la loi DALO ? Pas du tout. Face aux difficultés de millions de mal-logés, on choisit de punir les plus précaires en les envoyant en prison, après avoir créé les conditions de leur désarroi économique et de leur insolvabilité”, abonde Michel Platzer.
En bref, on criminalise la pauvreté. Et cela, ATD Quart Monde ne l’acceptera pas. Lors de ce rassemblement devant le Sénat, les organisations du Collectif des Associations unies, dont ATD Quart Monde est membre, ont ainsi appelé les sénateurs, qui examineront la loi à partir du 31 janvier, à ne pas voter ce texte. En amont de ce rassemblement, une lettre a également été envoyée par ATD Quart Monde à tous les sénateurs et les associations vont continuer à ce mobiliser : un rassemblement est d’ailleurs prévu le samedi 28 janvier, à Bastille et une pétition en ligne a été lancée.