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- Politique, École
La guerre aux pauvres commence à l’école
Description
Sur la morale laïque
Depuis l’Antiquité la question est posée : pour enseigner la vertu il faut d’abord savoir en quoi elle consiste. Et la connaissance de la vertu peut-elle suffire à rendre les gens vertueux ? La vertu ne se pratique-t-elle pas par l’exemple ? Depuis Jules Ferry l’enseignement de la morale à l’école a évolué avec ce que l’époque voulait transmettre dans une illusion d’éthique universaliste. Aujourd’hui, la morale prend beaucoup de place dans des discours catastrophiques et uniquement psycho-moralisateurs sur l’école, ce qui évite de répondre à des réalités toute autres : les inégalités considérables entre les élèves dans la maîtrise des savoirs de base (lire, écrire, compter) et l’exclusion d’enfants (150 000 chaque année) d’un système férocement compétitif.
L’auteur choisit des explications pragmatistes à ces réalités car « elles ont l’avantage d’être plus facilement vérifiables ou réfutables ». Les explications moralistes ouvrent à toutes sortes de clichés qui justifient l’exclusion des plus pauvres, leurs conditions de vie matérielles étant forcément liées à leur immoralité et leur manque de bonnes manières.
Quelle politique peut être envisageable face à ce catastrophisme ? Introduire plus de démocratie, moins de compétition ou plus de répression, plus de morale ? Les injonctions paradoxales de l’école ne suffisent-elles pas à rendre inopérants des cours de morale ? Dans le discours : solidarité, entraide, coopération, intérêt général, acceptation de l’autre, et dans la pratique : compétition individuelle, réussite individuelle, évaluation à outrance, hiérarchisation à tous les niveaux, ségrégation, humiliation, rejet de l’altérité.
L’auteur définit la morale selon qu’elle parle du juste ou du bien, rappelle les différentes philosophies de la morale et s’attarde sur le pluralisme des morales laïques pour finalement poser la question : existe-t-il une “morale commune” fondée sur des réactions morales intuitives ?
Ruwen Ogien démontre que le projet d’enseigner la morale à l’école n’est qu’un prétexte à ne pas aborder la question de l’injustice sociale. De nombreuses enquêtes montrent que l’explication de la pauvreté par la paresse n’a cessé de gagner du terrain, au cours des années 1990, au détriment de l’explication par les phénomènes macro-économiques. Des conservateurs disent que la morale à l’école diminue l’importance du facteur social dans l’explication de la délinquance ou de l’échec scolaire. Donc la guerre intellectuelle aux pauvres passerait aussi par l’école au travers de cours de morale contraignants et stigmatisants, qui leur laisseraient croire qu’ils sont responsables des injustices qu’ils subissent : s’ils échouent c’est parce qu’ils sont immoraux.
Perrine Levasseur
Éditions Grasset – 2012 – 166 p.