Enquête sur une jeunesse rurale
Le sous-titre aurait dû reprendre l’expression plus précise jeunes ouvriers en milieu rural : il n’est pas question ici du monde agricole et le projecteur est plus orienté sur les garçons que sur les filles.
L’auteur est lui-même originaire de ce village bourguignon, près de Dijon, où, en vue d’une thèse de sociologie, il entreprend de partir à la rencontre d’une nouvelle génération de jeunes pour tenter de comprendre et d’analyser leur devenir dans le contexte socio-économique local de la décennie 2000-2010. Celui-ci est dominé par la perte progressive des emplois industriels qui avaient permis à leurs parents et grands-parents de bénéficier de la sécurité et de la protection offertes par une industrie métallurgique aujourd’hui en voie de disparition, alors qu’elle avait toujours jusqu’alors privilégié l’embauche des enfants de ses salariés.
Ces « post-adolescents » sont mal préparés à affronter cette crise, mal armés pour trouver de nouvelles voies de socialisation du fait de leur faible degré de scolarisation et de formation professionnelle. Il s’ensuit pour eux une désorientation et une angoisse devant l’avenir, ne trouvant pas un emploi stable et correctement rémunéré qui leur permettrait d’accéder à une autonomie et de fonder vraiment une famille.
Grâce à son enracinement passé dans la localité, à la poursuite de sa participation à diverses activités (équipe de football, stages en entreprise, fréquentation des cafés) et à des liens d’amitié qu’il cultive avec certains jeunes et leurs parents, l’auteur a pu recueillir beaucoup de leurs récits de vie, de leurs confidences même, qui révèlent leur état d’esprit en même temps que leurs conditions précaires d’existence. Beaucoup souffrent d’isolement et d’ennui, se mettant en danger dans la mesure où ils ont tendance à perdre leur estime d’eux-mêmes, rêvant d’une hypothétique et improbable reconversion alors qu’ils sont contraints en leur for intérieur de « se distancier » de ce monde ouvrier dont ils sont issus mais dont ils ne peuvent plus « reproduire l’honorabilité. »
Si certains d’entre eux se tirent d’affaire en s’exilant, c’est qu’ils ont bénéficié d’une éducation, d’une qualification et de relations dont les plus démunis sont dépourvus. Ces derniers « ne se perçoivent pas capables de migrer sans risquer de perdre le peu d’assurance sociale dont ils disposent encore » auprès de parents souvent déjà retraités ou au chômage eux aussi.
Daniel Fayard
Éditions La Découverte – Poches Sciences – 2010 – 294 p.
Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 198 : Littérature et misère : quelles rencontres ?