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L’injustifiable et l’extrême
Description
Manifeste pour une philosophie appliquée
C’est en effet à partir de la confrontation à des situations de misère extrême, en Haïti et au sud du Sahara, lors de missions de recherche, que l’auteur s’est trouvé contraint à écrire ce livre. Il a constaté que l’approche des situations des plus pauvres se réduit le plus souvent à une représentation monétaire supposée suffire à un minimum de ressources, alors que la très grande pauvreté ne peut être isolée “des autres dimensions de l’extrême” : la violence et les risques d’insécurité. Au regard de la globalisation des ces situations, il en est arrivé à proposer le terme d’ “extrémisation” pour les désigner.
Le philosophe doit abandonner sa “stature de surplomb” pour se coltiner au réel. Dans le chapitre préliminaire, intitulé Une philosophie appliquée, Alain Renaut propose de “reconfigurer en profondeur les démarches philosophiques les mieux établies”, en partant de ce que ce monde a de plus spécifiquement injuste, afin d’établir non pas une théorie générale mais une approche “des questions de justice globale”.
Dans le second chapitre, il définit une liste de “catégories normatives” qui permette d’identifier et d’évaluer les degrés d’intensité des situations ou des contextes d’injustices extrêmes, sans recourir à des critères quantitatifs. Parmi ces catégories : l’injuste et l’injustifiable, (impossible à soutenir par un argument), la décence et l’indécence, (provoquant l’humiliation), et enfin l’inégalisation extrême ou l’extrême dénuement engageant “une privation de ressources, mais aussi une privation du pouvoir d’agir sur sa propre vie”.
C’est à partir de l’exposé de deux missions de recherche organisées par Alain Renault et son équipe, l’une à Haïti en novembre 2013, l’autre au Cameroun à Yaoundé en mars 2014, que le chapitre Philosopher à Port-au-Prince quitte les points de vue théorique, pour “buter” sur le réel ! Ces missions, “deux expérimentations philosophiques destinées à mesurer ce qu’apporte au philosophe […] une réflexion conduite à partir de données très particulières de l’inégalité extrême”, représentaient une sorte de mise à l’épreuve des théories philosophiques de la justice accumulées depuis les années 1970. L’auteur souligne trois dimensions de cette expérience : “l’indignation devant les conditions réelles de l’existence individuelle et collective, l’opacité et la complexité des données particulières aux situations, la remise en question des théories générales de la justice, même appliquées à la question de l’extrême pauvreté”. Il repositionne la réflexion en termes de priorités et d’urgences à prendre en compte face aux conditions d’inégalités et de misères extrêmes.
Le dernier chapitre Pauvreté, violence et risque extrêmes comprend une analyse critique du rapport du PNUD de 2014 qui proclame réalisé depuis 2010 le premier objectif des OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) : “la pauvreté mondiale a été réduite de moitié”; il s’agit en fait de l’extrême pauvreté correspondant au seuil de 1,25 $ par jour pour vivre… plutôt pour survivre. Plusieurs démentis de l’assertion du PNUD sont exposés : en particulier ceux de l’Oxfam et de l’Oxford Poverty and Human Developement Initiative (OPHI). Le chapitre se termine sur une étude très complète des dimensions actuellement manquantes dans la mesure de la pauvreté.
“L’indignation n’est pas une politique” disait l’auteur en début du livre. En conclusion il ajoute “si l’indignation n’est pas une philosophie, le silence ne l’est pas non plus”.
Jean-Pierre Touchard
Le Pommier – 2015 – 292 p.