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- Action sociale, Femme, Histoire
Vagabondes, voleuses, vicieuses/Adolescentes sous contrôle, de la Libération à la libération sexuelle
Description
Cet ouvrage, issu d’une thèse, est construit selon deux angles de vue : l’histoire institutionnelle de la justice des enfants et l’enquête sur leur vie, leur quotidien à travers l’analyse d’écrits contenus dans 460 dossiers issus des Archives du Tribunal de la Seine et des témoignages.
La construction de la justice des mineurs est née des ordonnances de 1945 et de « l’urgence de se pencher sur les origines des infractions commises et d’éviter les récidives ». Le dépouillement des archives a révélé le travail des magistrats (des juges pour enfants nouvellement créés) et des services sociaux selon leurs modes d’intervention. L’auteur montre que le souci d’assurer une proximité entre la justice et les enfants a été atteint.
Les enquêtes sur les jeunes conduisent souvent à porter un jugement sur leur famille avec peu de prise en compte des traumatismes de la guerre. Pourtant 22 % des jeunes connus de la justice entre 1948 et 1958 sont orphelins de père alors que la moyenne nationale est de 10 %.
Le contraste est grand entre ce qui est attendu des jeunes par les autorités et les parents et la variété des sources d’émancipation offertes par la ville… Les normes sociales et morales sont rigides, en particulier pour les filles cantonnées à leur futur rôle d’épouse et de mère… Et « une perspective genrée prévaut face à la délinquance dans les années 50 et 60 ».
L’auteur s’interroge sur « les mécanismes qui conduisent à étiqueter certaines jeunes filles » selon les termes repris dans le titre de l’ouvrage. Elle s’en démarque d’ailleurs et distingue les voleuses, les fugueuses et les dévergondées (lesbiennes et prostituées) auxquelles elle consacre des analyses différenciées.
Les vols commis par des jeunes filles représentent 65 % des dossiers pénaux. C’est souvent le comportement des filles qui inquiète plus que le vol commis. Personnalités, milieux sociaux et familiaux sont vite au centre des procédures.
Les faits de violence, rares chez les filles, sont souvent minimes mais jugés rudement en regard de ce qu’on tolère de la part des garçons. Les filles sont vite déresponsabilisées, considérées comme des malades et hospitalisées pour « canaliser la violence ». Des explications d’ordre héréditaire ou sexuel sont souvent avancées. La seule réponse est l’enfermement temporaire, parfois long et souvent inefficace. L’auteur montre la réaction des intéressées sur ce quotidien imposé, consignée dans leurs écrits spontanés de l’époque.
Même remède appliqué aux fugueuses, si elles ne peuvent être remises à leurs parents ou à leur mari… ou vite mariées avec celui pour qui elles ont fugué. L’éloignement du milieu familial est vu comme bénéfique et pourtant les institutions souvent religieuses qui accueillent les jeunes filles ne sont pas assez nombreuses.
La justice protège la société qui redoute la prostitution, qui guette les vagabondes, et les maladies vénériennes que les dévergondées risquent de transmettre. Ces dossiers sont, selon les mots de l’auteur, « saturés de sexe ». Mais comment légiférer dans un domaine où les limites entre normalité et pathologie, conformité et déviance sont floues ?
Ce travail rigoureux et très documenté constitue donc une base pour poursuivre la réflexion sur l’équilibre entre répression et éducation comme sur une législation appropriée pour faire face aux dangers qui guettent ces jeunes
Catherine Cugnet
Editions Les Pérégrines – 2019 – 328 p.
Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 259 : L’intelligence artificielle en questions