Communiqué de presse – 7 octobre 2020
7 ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et après 16 ans de combat, certaines familles du bois du Trou-Poulet, à Herblay, dans le Val-d’Oise, sont toujours en attente de relogement sur des terrains familiaux. Engagé à leurs côtés, ATD Quart Monde a saisi le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, afin d’exhorter la France à respecter ses engagements internationaux.
Le 17 octobre 2013, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour avoir enfreint l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, suite à l’expulsion de 25 familles issues de la communauté des gens du voyage du terrain qu’elles occupaient à Herblay, dans le Val d’Oise. La Cour européenne pointait alors du doigt l’absence de mise en balance entre les droits fondamentaux des occupants et des droits des propriétaires, ainsi que l’absence en nombre suffisant de terrains familiaux, permettant aux gens du voyage de vivre en caravane conformément à leur tradition.
Sept ans après cette condamnation, 17 familles du bois du Trou Poulet attendent toujours le respect par la France de ses obligations.
Face à l’inaction de la France à tous les niveaux – local, départemental et national – les familles et ATD Quart Monde ont saisi le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Une première communication a ainsi été déposée en février dernier par 17 des personnes expulsées afin de faire appliquer la décision de la Cour européenne, que la France est tenue de respecter. Une seconde communication a été adressée par le Mouvement ATD Quart Monde afin d’obtenir une surveillance soutenue de l’exécution de l’arrêt.
En effet, aucune circulaire, aucun décret, aucune loi, n’ont été promulgués pour empêcher les expulsions sans le contrôle préalable de la proportionnalité des droits exigé par la Cour européenne des droits de l’Homme. En mai 2020, une nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire Hirtu c. France vient pourtant en rappeler la nécessité. Près de dix ans après l’arrêt Winterstein, les arrêtés permettant la création de terrains familiaux locatifs ne sont toujours pas promulgués.
Alors que 4 millions de personnes vivent dans des conditions d’habitat inacceptables, que depuis les années 2000 le nombre d’expulsions a augmenté de 50% et que les expulsions avec emploi de la force publique ont été multipliées par 2,7 sur cette période, il est aujourd’hui essentiel que le gouvernement intègre dans sa législation cette notion de proportionnalité et « d’aide appropriée » qui conduirait les juridictions à faire respecter le droit au logement et les autres droits qui en découlent.
Pour Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde : « Quand l’État français rechigne à faire respecter les droits fondamentaux, c’est un reniement et une humiliation de plus pour toutes les familles qui n’aspirent qu’à vivre dignement. On aimerait voir l’État se donner autant de mal pour faire respecter les droits humains que les règles budgétaires européennes. »
L’affaire Winterstein en bref
En 2004, le maire d’Herblay sollicite l’expulsion de 25 familles au motif qu’elles occupent une « zone naturelle qu’il convient de protéger » et obtient gain de cause devant la justice.
Le Juge des référés ordonne l’expulsion et condamne les familles à évacuer leurs caravanes sous peine d’une amende de 70 euros par jour de retard. Les 25 familles – soit près d’une centaine de personnes ressortissantes françaises – étaient établies, avec d’autres, sur des terrains de la commune comme propriétaires, locataires ou occupants sans titre. Parfois installées depuis plus de trente ans, elles étaient complètement sédentarisées.
Cette décision du Juge des référés se fonde exclusivement sur l’existence d’un trouble manifestement illicite, sans pour autant rechercher, comme il le devait, à soupeser les droits fondamentaux invoqués devant lui. En effet, le Juge avait l’obligation de mettre en balance le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des occupants de ce terrain et le droit de propriété des propriétaires. Plus précisément, il lui appartenait d’appliquer un contrôle de proportionnalité, un principe qui existe dans la quasi-totalité des pays d’Europe et consacré par la Convention européenne des droits de l’homme de l’Union européenne.
Si plusieurs familles ont quitté le lieu et que six ont pu accéder à un logement social rapidement, la plupart d’entre elles ont été contraintes à l’errance. Après avoir épuisé tous les recours nationaux, les familles ont saisi la CEDH en juin 2007.
En 2013, la CEDH conclut à une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans la mesure où les requérants n’ont pas bénéficié, dans le cadre de la procédure d’expulsion, d’un examen de proportionnalité, selon lequel une mesure restreignant des droits et libertés fondamentaux doit être à la fois :
- appropriée ou adaptée (elle doit permettre de réaliser l’objectif légitime poursuivi) ;
- nécessaire (elle ne doit pas excéder ce qu’exige la réalisation de l’objectif poursuivi) ;
- proportionnée (elle ne doit pas, par les charges qu’elle crée, être disproportionnée avec l’objectif poursuivi et le résultat recherché).
En 2016, la CEDH a condamné la France à leur accorder des compensations financières pour préjudice matériel et moral, jugeant que l’État n’avait pas accordé une attention suffisante aux besoins des familles qui avait demandé un relogement sur des terrains familiaux. Elle a estimé que : « l’exécution de l’arrêt au principal implique que tous les requérants qui n’ont pas été relogés puissent, compte tenu de leur vulnérabilité et de leurs besoins spécifiques, être accompagnés en vue de leur accès à un hébergement, sur un terrain familial ou en logement social, selon leurs souhaits » (§ 19 de l’arrêt).
En 2020, 17 des 25 familles qui avaient saisi la Cour européenne sont toujours en attente de relogement sur des terrains familiaux.
Consultez la communication d’ATD Quart monde auprès du comité des ministre de l’Europe ici
Contact presse
Emilie Perraudin / emilie.perraudin@atd-quartmonde.org / 06 28 61 69 05