La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
Un autre monde
Stéphane Brizé. Fiction. France. 16 février. diaphana@diaphana.fr.
Philippe, cadre chez Elsonn, multinationale industrielle, se trouve à un point de bascule de sa vie professionnelle et personnelle. Son travail a usé l’amour de sa femme, leur enfant révèle des problèmes psychiques. Philippe est pris en étau par sa hiérarchie et les salariés ; il faut licencier. Multipliant les angles à chaque scène, la caméra sécrète la sensation d’étouffement, de stress, avec rigueur et réalisme, très loin du pathos. Les dialogues font dans la dentelle. Un ban pour la responsable Europe et le big boss américain, pour tous les protagonistes et pour la tension dramatique. Au-delà du monde de l’entreprise, une interrogation illustrée magistralement sur tout un système. Contre toute attente, Philippe saura faire des choix.
La vraie famille
Fabien Gorgeart. Fiction. France. 16 février. www.lepacte.com
Une famille de la classe moyenne, aimante, chaleureuse, composée de trois petits garçons, dont Simon, placé en accueil depuis ses 18 mois par l’Aide sociale à l’enfance. Il a 6 ans et Eddy, le père biologique (veuf et relevant de dépression) veut retrouver la garde de l’enfant. Anna, la mère d’accueil a fait son “travail” éducatif en respectant les desiderata du père et de l’institution. Mais elle déborde aussi d’amour pour Simon : “Aimez cet enfant mais ne l’aimez pas trop” auraient pu dire la juge et l’assistante sociale, qui se montrent à la fois humaines et fermes, sans caricature. Tous les protagonistes –enfants et adultes- sont vus avec justesse et intensité, les situations avec doigté. La musique est parfois trop présente. La mère d’accueil semble peu aidée psychologiquement, malgré les dires de l’assistante sociale. La place de l’enfant, son conflit de loyauté envers l’une (Anne) et l’autre (Eddy) sont vus en finesse. On aimerait sentir plus en détail le point de vue d’Eddy le père biologique, qui reste un peu en retrait. Ce n’est pas ici le propos. Une suite : « Eddy et Simon » ou La nouvelle famille » ?
Un peuple
Emmanuel Gras. Documentaire. France. 23 février gregoire@kmbofilms.com
À Chartres, en octobre 2018 puis au fil des mois, la vie d’un groupe de personnes portant gilet jaune, réunies à un rond-point, par tous les temps. Des femmes, des hommes, en précarité pour la plupart, enthousiastes ou découragés, unis ou divisés, mus simplement par le désir de vivre mieux. Les confrontations aux badauds, aux commerçants, leurs désarrois face aux violences parisiennes, leurs espoirs déçus valent d’être entendus. Portraits en profondeur.
Les poings desserrés
Kira Kovalenko. Fiction. Russie. Prix Un Certain Regard (Cannes 2021). VOST (film tourné en ossète par des acteurs russes). 23 février. www.arpselection.com
Une ville minière d’Ossétie du Nord (République de Russie), enclavée dans les montagnes du Caucase. Ici les jeunes tuent le temps, arrêté depuis la fermeture des usines. Ada, jeune fille frémissante de vie et de fragilité, vit sous la coupe d’un père veuf, à l’amour possessif, avec son jeune frère. Le frère aîné passe de loin en loin, donne de l’espoir. Des décors et une interprétation extraordinaires au service d’une caméra supra sensible, qui capte le moindre regard, le moindre tressaillement. Une expérience sensorielle.
Nous
Alice Diop. Documentaire. France. 16 février. www.totem-films.com
L’auteure interroge sa propre vie à partir de personnes très diverses rencontrées dans les banlieues longeant le RER B. Outre ses parents émigrés, il y a un mécanicien malien d’Aubervilliers, des visages du camp d’internement de Drancy, des royalistes à Saint-Denis, des chasseurs à courre, un écrivain sociologue. Autant de territoires “pauvres”, de vies ignorées. Une invitation à entrer dans les plans longs pour regarder “ces gens de peu”, chacun dans son monde.
Les graines que l’on sème
Nathan Nicholovitch. Fiction documentaire. 23 février. contact@nourfilms.com
Chiara est morte durant sa garde à vue, après avoir taguée “Macron démission !” sur les murs de son collège. Simple bavure, car “sa vie ne valait rien” disent ses camarades. Ils se confient sur leurs peurs, leur malaise, leur invisibilité. Le récit tire son originalité de la lisière ténue entre fiction et réalité, les collégiens protagonistes étant des témoins- comédiens.
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