La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
L’île
Anca Damian. Fiction. Film d’animation. Inspirée de la pièce de théâtre de Gellu Naum. Belgique/France/Roumanie. 1h25. VOST. 7 juin.
Robinson, ancien médecin de 82 ans, s’est retiré volontairement loin du monde sur une île en Méditerranée. Mais le monde le rattrape en la personne de Vendredi, seul survivant d’un bateau en provenance d’Afrique vers l’Italie. Une sirène aux cheveux verts, un pirate unijambiste, une mère plus jeune que son fils, des animaux marins captifs du plastique, des noyés flottants, une mer turquoise changée en immense couverture de survie dorée… De rebondissement en rebondissement, une odyssée inventive, tour à tour poétique, ironique, tragique, magique, géopolitique, pédagogique (sans lourdeur), portée par une musique, des chants, des paroles et un graphisme époustouflants. Certains plans suggèrent Dali ou Tanguy. Une merveille de vivacité pour dire l’écologie sociale et environnementale, à voir à tous les âges de la vie.
Juniors
Hugo Thomas. Fiction. France. 20 juillet.
À Mornas, morne village en rase campagne « sans même une médiathèque », Jordan et Patrick tuent leur ennui grâce à « Jessica », leur console de jeux vidéo. Hélas, la machine les lâche. Pour la remplacer, les ados simulent un cancer et lancent une cagnotte en ligne. Le résultat dépasse leurs espérances. Des maladresses de jeu et un rythme parfois poussif. Pourtant les dialogues enlevés, l’univers des jeunes montré avec justesse, l’énergie qui se dégage, remportent la mise.
Elle s’appelle Barbara
Sérgio Tréfaut. Fiction. Portugal. VOST. 28 juin.
En Irak, un camp de prisonniers djihadistes. Barbara assiste à l’exécution de son époux. Puis elle attend son propre sort. Une petite madone grave et silencieuse, magnifiée par la photographie en clair-obscur. Le film fait sentir, plutôt qu’il n’explique.
Welfare
Frederick Wiseman. Documentaire. États-Unis.1975. Copie restaurée. Noir et blanc. 2h47. VOST. Inédit en salles en France. Sortie 5 juillet 2023
New-York, hiver 1973, bureau d’aide sociale. Dans une salle d’attente surpeuplée, des gens de tous âges se pressent pour régler des situations très diverses dans tous les domaines : chômage, logement, divorce, problèmes médicaux voire psychiatriques, femmes ou enfants abandonnés ou maltraités, documents perdus… Les agents d’accueil du centre, leurs supérieurs autant que les demandeurs d’aides eux-mêmes, tous ont beaucoup de difficultés à interpréter les lois et les règlements. Souvent, il faut renvoyer vers d’autres services et cela est mal vécu. Ce qui frappe, c’est la durée de chaque entretien, la bonne volonté et la patience des travailleurs sociaux. Des pratiques révolues ? Le dispositif d’immersion de la caméra, précurseur à l’époque, a influencé bon nombre de documentaristes.
N.B.La pièce de théâtre Welfare, directement adaptée du film et mise en scène par Julie Deliquet, directrice du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis, fera l’ouverture du festival d’Avignon du 5 au 14 juillet 2023. Diffusion à la télévision le 7 juillet. Puis jouée au TGP à Saint-Denis (93) du 27 septembre au 15 octobre 2023.
Les filles d’Olfa
Kahouter Ben Hania. Documentaire. VOST. 5 juillet. Coup de cœur.
Dans la Tunisie moderne, Olfa porte sur ses épaules des siècles de patriarcat. De condition modeste, sans instruction, elle a dû avaler cette culture pour survivre. Elle a sur les bras quatre filles qu’elle a éduqué de façon traditionnelle. Les deux aînées, Rahma et Ghofrane, en partie pour échapper à cette emprise, ont été dévorées par le Loup -comprendre par Daech-. « Ici t’as pas le choix : pute ou sainte. » Elles purgent dix-huit ans de prison en Libye, l’une avec une enfant. Les deux plus jeunes, Eya et Teyssir, tentent de survivre à ce cataclysme et à d’autres non-dits familiaux. Les moments clés de leur histoire sont racontés par Olfa et une comédienne jouant son double, par les cadettes et par deux comédiennes incarnant les aînées absentes.
Dans ce gynécée où les hommes ont presque disparu (un comédien joue plusieurs rôles masculins), où Olfa a tôt pris la place du père, petit à petit elles se révèlent à elles-mêmes dans une très grande complicité mutuelle, faite de rires, de dialogues, de silences, de larmes et de résilience.
Olfa est une femme à facettes, complexe, ambivalente, courageuse tout à la fois. Femme de ménage en Libye, elle a emmené ses filles pour y travailler. Eya et Teyssir ont vécu un temps dans un centre de protection infantile. Cinq femmes donc dans un lieu clos comme un théâtre d’improvisation, avec des costumes, des accessoires, où les dialogues, parfois crus, s’inventent comme sous nos yeux. « Mes sœurs, elles ont commencé à s’habiller en chauves- souris ». Lumineuses, belles, sensuelles, intelligentes, tour à tour mutines, émues, malicieuses, troublantes.
Un anti-documentaire très original dans sa forme, comme un écrin, pour un quintette fascinant.
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