La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
Los Reyes del Mundo
Laura Mora. Fiction. Colombie. VOST. 29 mars. Coup de cœur.
Rá vit avec ses amis Culebro, Sere, Winny et Nano dans les rues de Medellin. Il reçoit un document promettant de récupérer le terrain de sa grand-mère. Commence alors un long voyage vers une terre promise. De jour ou de nuit, accrochés à de gros camions dorés, ils traversent les montagnes. Tantôt dans une énergie victorieuse, rageuse, tantôt dans des moments plus doux de fraternité, ils progressent dans les brumes, dans la jungle. Ils rencontrent des hommes armés, rançonneurs, ravisseurs.
Le long des routes, survivent des êtres oubliés de l’État, vivant de rien, à la marge : un ermite et ses chiens, un vieux couple dans une ruine, des filles de joie au milieu de nulle part, femmes chaleureuses et maternelles. Le récit alterne longues scènes violentes ou d’accalmie, entre réalisme cru et poésie onirique. La caméra cultive les plans rapprochés, parfois des cadrages recherchés. Au cours de cette traversée et pourtant nourris de machisme, les jeunes garçons expérimentent l’empathie, la tendresse, le goût du jeu, la dignité retrouvée, espérée, mais aussi le désespoir, la mort ou des territoires imaginaires, refuges inviolables. La cinéaste a apprivoisé dans la durée les jeunes protagonistes. Époustouflants de naturel, ils jouent ici presque leur vie.
Si tu es un homme
Simon Panay. Documentaire. France/Burkina. 1er mars
Au Burkina-Faso, Opio, 13 ans, travaille depuis des années dans une mine d’or. Il porte des sacs de pierres plus lourds que lui. Pour retourner à l’école, sur le conseil de son père, c’est à lui de réunir la somme nécessaire. Il demande alors à descendre dans les galeries : inlassablement casser la roche, ramper dans le noir, attraper la corde salvatrice pour remonter, laver la récolte dans l’eau boueuse, souvent en vain. La mère déplore faiblement ce travail ; le père, qui a deux épouses, finance quelques fournitures scolaires. La vraie famille d’Opio, ce sont ses camarades de travail. Il ira un peu à l’école, étudier parmi les chanceux, avoir une belle blouse sur mesure, savoir écrire son nom. Faute d’argent, Opio retournera dans les galeries souterraines. Un héros impressionnant.
Goutte d’or
Clément Cogitore. Fiction. France. 1er mars
Ramsès tient un cabinet de voyance dans le 20e arrondissement de Paris. Intuitif, empathique, mystérieux, charismatique, il sait ménager les silences, consoler les gens désemparés. Il est lui-même un “gagne-petit“, dans la survie comme les clients qu’il berne. Survient une poignée de très jeunes migrants tunisiens aux abois, terreurs du quartier. Ils zonent sur l’immense chantier Porte de La Chapelle, violents. Ramsès sait leur parler. Souvent dans un clair- obscur, il parle en métaphores, avec une poésie incantatoire : “Je suis un voleur et un menteur, je suis, comme vous, un enfant du vent et de la nuit“, tandis que l’aube se lève sur les friches. Un acteur habité par son rôle. Avec une musique en osmose, une échappée fascinante, filée parfois comme une métaphore, dans une communauté marginalisée, précarisée.
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