La chronique de Laure Olivier et Bella Lehmann-Berdugo
Par la fenêtre ou par la porte
Documentaire de Jean-Pierre Bloc, avec Ariane Ascaride. Sortie le 8 novembre.
« Je suis là pour produire l’amnésie, vider les cerveaux des valeurs du service public. » C’est ainsi que s’installe en 2005 à France Télécom, le management par la peur. Pour des motifs de rentabilité, 22 000 fonctionnaires sont déclarés en trop. Il faut qu’ils partent, « par la fenêtre ou par la porte ». On casse, on fracasse, on chamboule tout. La peur est là, les gens vont mal, la dépression est générale. 1 suicide, puis 2, puis 3, il en faudra 23 pour qu’enfin la justice soit saisie. Un procès pour harcèlement commence en 2019. Plusieurs responsables sont condamnés à de la prison ferme et certaines victimes sont indemnisées. En appel, la condamnation est confirmée, mais plus de prison, et les indemnités revues à l’euro symbolique. Ce film raconte une histoire du passé qui ne laisse pas beaucoup d’espoir pour l’avenir. « Le plus fort restera le plus fort. »
Je vous salue, salope – La misogynie au temps du numérique
Documentaire de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist. Sortie le 4 octobre.
Une américaine, députée du Vermont, une canadienne enseignante en primaire, une française, scénariste blogueuse, et une italienne, présidente de la chambre des députés, parlent. Avec conviction, émotion et douleur, elles parlent. De leurs valeurs féministes, des choix qu’elles ont fait pour les défendre et les partager. Elles parlent aussi de la haine que leurs engagements ont soulevée sur les réseaux sociaux, chez certains hommes politiques et leurs acolytes. Injures, menaces de viol et de mort, rien ne leur est épargné. La parole venimeuse est complètement libérée sans possibilité légale ni volonté politique de la freiner. Ces femmes, contraintes de vivre dans la crainte, persévèrent pourtant, non sans se questionner sur ce que sera l’avenir quand elles voient tous ces jeunes aimer vivre dans la fiction des réseaux avec leurs mensonges et leur violence. L’ultime claque de ce documentaire est celle d’un enfant de quatre ans à peine, couché dans son lit, c’est la nuit et il joue avec son portable.
Abbé Pierre, une vie de combats
Frédéric Tellier. France. 2h20. Sortie le 8 novembre.
Henri Grouès (Benjamin Lavernhe, très investi), issu d’une famille bourgeoise, de constitution fragile doit renoncer à entrer dans les ordres au monastère des Capucins. En 1942, il est néanmoins mobilisé dans la Maurienne, il sera résistant dans le maquis du Vercors, nom de guerre Abbé Pierre. Il y rencontre Lucie Courtaz (remarquable Emmanuelle Bercot) qui sera la cheville ouvrière de ses actions. On le retrouve député à l’Assemblée Nationale, où il se bat pour des salaires décents. Il crée une maison d’accueil pour “des gens qui n’ont plus d’espoir”. A leur demande ils se constituent en association, la première communauté Emmaüs est née. Son action : faire de la récupération et la revendre. Il se heurte fréquemment aux pouvoirs publics. Puis ce sera l’appel à Radio Luxembourg à l’hiver 1954, puis des “centres de dépannages”, puis des cités d’urgence. “Rien n’arrête l’insurrection de la bonté, de la justice, de la colère.” L’Abbé Pierre s’épuise, rien n’arrête ses idéaux. Véritable tribun il manie les formules : “Sortons de la torpeur qui nous écrase” à une époque sans réseaux sociaux, sans multiplication des médias. Jusqu’à la fin, l’homme s’interroge inlassablement sur sa légitimité, sur la portée de ses actions. L’un des premiers à regarder chacun au-delà des a priori, sans jugement et à donner la parole aux sans-voix. Un biopic très fourni, avec des longueurs, des scènes parfois surchargées de musique, mais tout à fait pédagogique pour les jeunes générations, à l’heure où la surinformation brouille les idées, asphyxie les initiatives.
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