La chronique de Bella Lehmann-Berdugo
À l’ombre des filles
Étienne Comar. Fiction. France. 13 avril.
Luc, chanteur lyrique en plein deuil, accepte de mener un atelier chant dans une prison de femmes. Elles le mettent copieusement à l’épreuve. Rien de gagné dans cette expérience réciproque pour trouver de l’harmonie ensemble et avec soi-même. Les dialogues soignés et la musique racontent autant l’épanouissent intérieur et celui des corps des prisonnières que le trajet d’un homme sensible, leur enrichissement mutuel. Avec leurs limites.
Allons enfants
Thierry Demaizière et Alban Teurlai. Documentaire. France. 13 avril.
Des adolescents des périphéries intègrent le lycée Turgot à Paris, dans une classe « hip-hop ». Objectif : briser l’échec scolaire à travers la danse. Ils sont suivis pas à pas par une équipe pédagogique en or et par un professeur de gym et de danse très investi. À travers les « battles », le corps révèle la rage de vivre ou le manque de confiance en soi. Leur franc-parler est passionnant. Mais la danse ne rend pas les maths plus accessibles. On voit peu ces jeunes mêlés aux fameux « babtous » de Turgot. Dommage.
Les Sans-dents
Pascal Rabaté. Fiction. France. 20 avril.
Des êtres frustes, inoffensifs, sans parole, vivent en tribu au bord du monde, au fond d’une grotte, dans un amas d’objets hétéroclites ou sur une décharge à ciel ouvert. Ils s’adonnent à la récupération, manifestent de la sensibilité, de l’inventivité. À leurs trousses, une équipe de policiers très typés aussi. Une succession de clichés tirés à l’extrême… pour mieux les dénoncer ? Un regard libre, osé, dérangeant, original, poétique et parfois tendre. Un second degré nourri de références cinématographiques. Qu’en penseront par exemple les personnes précaires visées par cette représentation ?
Employé patron
Manuel Nieto Zas. Fiction. Uruguay. 1h46. VOST. Sortie 6 avril. Eurozoom.
Rodrigo, jeune patron agricole sous les ordres de son père, est préoccupé par la santé de son bébé. Pour sa riche exploitation de soja il recrute, dans l’urgence et sans permis, le jeune Carlos comme conducteur de tracteur. Carlos, fils d’un ancien propriétaire terrien autrefois devenu ouvrier agricole pour la même exploitation, doit subvenir aux besoins de sa femme et sa fillette. Mais sa passion c’est le cheval et il rêve de courir un célèbre raid traditionnel à cheval. Ces courses peuvent changer le destin d’un homme de la campagne. Un événement va bouleverser la donne.
Sans caricature aucune, la confrontation dense et forte de deux comédiens -l’un virtuose l’autre non professionnel et plus vrai que nature-à travers les regards, les attitudes, les silences, sur fond de paysages et de chevaux dignes d’un western. Les femmes et les rôles secondaires très soignés pèsent sur la tension dramatique. Deux destins parallèles, d’abord proches, puis deux classes sociales s’affrontent dans un monde encore patriarcal.
Et il y eut un matin
Eran Kolirin. Israël. Fiction. 1H41. VOST. Sortie13 avril. Pyramide Films
Sami, cadre informatique arabe israélien- seul de sa famille à vivre à Jérusalem- se rend de l’autre côté de la frontière, avec sa femme Mira, au mariage de son frère Aziz. Dans la nuit, le village se retrouve bouclé par les autorités israéliennes, parce que des “dafaouis”, Palestiniens sans permis de séjour, y travaillent, justement pour la famille de Sami. Au lendemain de la fête, ce huis-clos inattendu exacerbe les tensions dans le village, dans les familles, dans les couples. Des hommes et des femmes s’agitent, se révèlent dans leurs fragilités et leur grandeur, s’étripent ou se solidarisent, pensent, rêvent. Tous humains, tous dignes.
Le grand mouvement
Kiro Russo. Bolivie. Fiction. 1H25. VOST. Sortie 30 mars. Survivance
A La Paz, Elder manifeste avec ses amis mineurs pour retrouver leur emploi. Ils ont marché une semaine jusqu’à la capitale la haute du monde ; Elder est malade des poumons. Max sorcier de rue, peut-être guérisseur, et Mama Pancha, vieille femme traditionnelle le prennent sous leur aile. Une plongée sensorielle dans la ville tentaculaire et la montagne, en passant par les marchés au milieu de femmes pourvoyeuses de travail, jusque dans la jungle et ses murmures. Mêlant différents genres et une bande son décalée, le récit déroute par moments, pour se transformer en une sorte de parabole, bien au-delà de la réalité sociale.
Les Heures Heureuses
Martine Deyres. France/Belgique/Suisse. Documentaire. 1 h17. Sortie 20 avril. A Vif Cinémas
Durant la seconde guerre mondiale, on estime que 45 000 personnes sont mortes de faim et de froid dans les hôpitaux psychiatriques, abandonnées à leur sort par le régime de Vichy. A la même époque, une formidable aventure, pleine d’humanité et de fraternité, se déroule à l’asile de Saint-Alban-sur-Limagnole, un petit village de Lozère. Ici, les fous sont traités comme des personnes à part entière. Regroupés au sein du Club des malades, ils sont écoutés et participent aux activités de l’hôpital. Soignés et soignants font ensemble le ménage, partent en excursion, se retrouvent à l’atelier photo, au journal « Trait d’union », aux fêtes du village…
La cinéaste Martine Dreyes nous fait revivre cette aventure à partir d’images d’archives retrouvées à l’hôpital de Saint-Alban : des films tournés par les infirmiers et infirmières, des villageois formés sur le terrain, et d’autres tournés par le psychiatre Francesc Tosquelles, républicain catalan réfugié en France. Grâce aux médecins qui, comme lui, veulent changer les pratiques en cours dans les asiles français, Saint-Alban sera le creuset de ce que l’on appelle la psychothérapie institutionnelle, une pratique qui donne une place centrale au malade et qui va révolutionner la psychiatrie après-guerre.
L’asile de Saint-Alban est aussi un haut lieu de création et de résistance. Il accueille des réfugiés, des juifs, des résistants… Le poète Paul Eluard s’y réfugie avec sa femme. Des malades développent une œuvre artistique remarquable. Comme Auguste Forestier qui, d’abord, dessine et sculpte des os de boucherie, puis construit d’étranges animaux à partir des matériaux qu’il trouve. Le peintre Jean Dubuffet viendra à Saint-Alban admirer ces chefs-d’œuvre de l’art brut.
Malheureusement, l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban traverse aujourd’hui les mêmes difficultés que toute la psychiatrie française, en plein marasme à cause du manque de moyens. Malgré cette note sombre, Les Heures Heureuses est un film qui fait plaisir à voir en ces temps sombres, avec ses sourires de soignants et de malades, adultes et enfants, chantant dans la chorale, défilant dans la fanfare du village… Un documentaire qui nous rappelle aussi que toutes les personnes, aussi différentes et déraisonnables soient-elles, ont droit à une même dignité. Véronique Soulé
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