Emmanuelle Simon, galeriste aux “Amies Rouges”, à Paris, a contacté le groupe de Paris il y a environ un an parce qu’elle partageait les valeurs d’ATD Quart Monde et qu’elle désirait avoir un autre regard sur les photos qu’elle exposait. Ce sont des photographies en noir et blanc représentant la vie quotidienne d’hommes et de femmes de milieux populaires ou proches du Quart Monde, en France ou dans des pays plus lointains. Les photographes qu’elle choisit sont le plus souvent des femmes. Brigitte Colas de la Noue, alliée du Mouvement, raconte ici comment un petit groupe de militants Quart Monde a été constitué pour aller voir chaque exposition et participer aux rencontres thématiques organisées autour de ces expositions.
La première fois, les militants Quart Monde étaient impressionnés par l’ambiance particulière du lieu : le charme d’une des plus vieilles maisons de Paris située derrière Notre-Dame avec ses poutres apparentes, son allure de guingois et ses grandes bibliothèques avec des livres ouverts présentés de façon harmonieuse. Accueillis à bras ouverts par Emmanuelle, ils ont été très vite rassurés. Les militants Quart Monde ont tout de suite senti une proximité avec les photos présentées.
Après une déambulation silencieuse qui a permis à chacun de s’approprier les œuvres de façon personnelle, Emmanuelle a demandé à chacun de choisir une photo. L’une a montré une photo de femme portant un collier de cauris, des petits coquillages, faisant écho à ses propres boucles d’oreilles et à sa grand-mère antillaise. Un autre militant a aussi évoqué sa grand-mère à travers les mains d’une femme tissant : “Elle avait une vie dure, était très habile de ses mains et a vécu longtemps”. Toutes et tous ont également été très touchés de voir que la visite se prolongeait par un échange informel, assis en cercle autour de jus de fruits et de biscuits. Pour Emmanuelle : “Ici ce n’est pas une logique de consommation, c’est un échange et une rencontre entre nous”. Un militant est reparti en disant : “Je m’attendais à voir des photos mais je vois beaucoup plus que ça”.
Une relation forte
Les visites se dérouleront toujours ainsi, dans un cadre à la fois organisé et laissant une place à l’informel, pour que chacun se sente à l’aise à tout moment. Emmanuelle a veillé de façon minutieuse et attentive à ce que chacun puisse s’exprimer pleinement. Lors de la deuxième visite, une militante Quart Monde a dit : “ici je suis moi-même”. À la fin de cette visite, deux militantes ont invité la galeriste à leur représentation de théâtre Clair Obscur. Emmanuelle est venue les applaudir, elles en ont été très fières.
Cette réciprocité a créée une relation forte. Lors de la troisième visite, Emmanuelle a évoqué tout ce que ces rencontres lui apportent : “Ici c’est un lieu d’échanges, je nourris ma sensibilité avec votre intelligence, avec tout ce que vous dites, je vous l’ai déjà dit, une œuvre n’existe que si il y a un regard sur elle et vous êtes mes ‘regardeurs'”. Ce à quoi l’un des membres du groupe a répondu : “la beauté n’existe que par le regard”.
Oser pousser la porte de la galerie
Après cette séance, Emmanuelle nous a invité à une rencontre organisée par la galerie autour de l’exposition de Michelle Brabo, photographe et actrice française. Cette rencontre a eu lieu pendant les vacances, mais deux militantes Quart Monde ont décidé de venir seules et se sont senties très heureuses et fières. Par la suite, les militants n’ont plus hésité à venir à d’autres événements organisés autour des expositions (sortie d’un livre sur l’histoire de la rue, échange sur l’influence de la photographie sur les représentations des gitans …).
Au cœur de ces rencontres, il y a Emmanuelle, qui avait envie de rencontrer les militants Quart Monde, parce qu’elle pressentait tout ce que la richesse de leurs regards pouvait lui apporter : “Je savais pouvoir compter sur ces personnes, j’ai terriblement confiance en leurs capacités pour créer un espace d’expression de l’humanité de chacun”. Emmanuelle leur a expliqué ce qui fait la valeur de leur regard : “vous me donnez une authenticité, une sensibilité, une générosité, vous êtes les acteurs de votre regard et moi je me retrouve en vous. Dans d’autres milieux, il faut toujours qu’ils fassent les malins, savoir que la photo ressemble à tel photographe ne m’intéresse pas, savoir ce que la photo vous fait c’est généreux.” C’est ainsi qu’au fil de quelques visites, la confiance s’est renforcé, les liens se sont tissés au point que les militants Quart Monde osent maintenant pousser la porte de la galerie pour retrouver Emmanuelle.
Photo : Visite à la galerie Les Amies rouges, 10 rue Domat, à Paris. © Brigitte Colas