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[DOSSIER] Expulsions : prévenir la spirale infernale

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Avec la fin de la trêve hivernale le 31 mars, les expulsions locatives vont mettre des milliers de personnes en situation de pauvreté à la rue. Selon la Fondation Abbé Pierre, ces expulsions ont battu un record historique en 2022 et la loi Kasbarian de juillet 2023, du nom du nouveau ministre du Logement, accélère les procédures d’expulsion en cas de loyers impayés. Dans ce contexte plus insoluble que jamais pour les ménages les plus vulnérables, il est indispensable de trouver des soutiens.

En 2022, 17 500 expulsions locatives ont été réalisées avec l’intervention des forces de police. Pour la Fondation Abbé Pierre, en 20 ans, la hausse est de 230 %, sans parler de toutes les familles, sous le coup d’une injonction à partir, qui s’en vont avant l’expulsion manu militari. Et on est encore loin des chiffres exacts car, depuis 2019, les tribunaux ne fournissent plus le nombre de commandements à quitter les lieux et les décisions d’expulsions. “L’inflation, la hausse des prix de l’énergie, la baisse des APL ont multiplié les cas de surendettements locatifs”, explique Michel Platzer du département Logement d’ATD Quart Monde, “et ont poussé des familles entières à la rue, faute de logements sociaux et de places d’hébergement d’urgence en nombre suffisant”. “Tout cela en toute illégalité”, précise Isabelle Toulemonde, responsable du département Droits de l’homme et justice à ATD Quart Monde. En cas d’expulsion, la loi enjoint l’État de reloger en urgence les ménages reconnus DALO (Droit au Logement Opposable) depuis longtemps. La France a même été condamnée en 2013 par un arrêt de la Cour Européenne des droits de l’Homme, dit arrêt Winterstein (voir ci-dessous). Or dans les faits, même les personnes considérées comme vulnérables (familles avec jeunes enfants, personnes âgées…) se retrouvent souvent à la rue après une expulsion.

Une vie chamboulée

C’est ce qui s’est passé pour Souhalia* et sa famille en 2017. “Le jour J, à 7h30 du matin on a reçu un coup de fil, les huissiers étaient là avec deux policiers. On avait confié les enfants à une voisine pour les protéger du traumatisme. On avait eu 3 jours pour vider notre appartement. Ce jour-là, j’ai cru que ma vie était finie.” Souhalia a la voix qui tremble encore lorsqu’elle évoque ce jour de 2017 où elle, son mari et leurs quatre enfants ont été expulsés suite à un lourd impayé de crédit. Durant 10 ans, ils avaient économisé, mois après mois, difficilement parfois, pour pouvoir honorer le crédit de l’appartement. Puis arrive une grossesse compliquée, un bébé prématuré, la mère et l’enfant hospitalisés des mois, le père licencié pour faute lourde : une vie chamboulée. “On a perdu pied”, raconte Souhalia.

“Pendant tous ces mois, on a oublié les factures, on n’ouvrait plus le courrier, les dettes se sont accumulées, on n’a plus remboursé le crédit.” Fin 2016, la banque annonce la saisie de l’appartement. Le processus de l’expulsion est lancé. “Nous avons passé une semaine chez nos voisins, puis on s’est réfugié dans notre voiture, à 6 avec un enfant malade sous oxygène. On est resté un mois comme ça. Je lavais les enfants dans les toilettes publiques et aux fontaines des parcs. Les deux grands ont continué à aller à l’école.”

“Personne ne nous avait informés de nos droits”

Souhalia et sa famille ont vécu à l’hôtel pendant quelques mois, puis ont tenté un retour en Tunisie, son pays natal, avant de revenir en France. L’intervention d’une assistante sociale va enfin leur permettre d’obtenir un hébergement d’urgence, puis de faire une demande de logement social et une demande DALO. “Personne jusque-là ne nous avait informés sur nos droits. Je ne savais pas que j’aurais pu faire un recours auprès de la Banque de France pour une procédure de surendettement, on ne nous a rien dit au moment de l’expulsion.”

Les témoignages sont nombreux de familles qui, sous le poids de la honte, la peur du jugement, de l’intrusion dans leur vie privée, des difficultés financières et sociales qui s’accumulent, mais aussi du manque d’informations, se replient sur elles-mêmes, n’ouvrent plus les courriers, ne répondent pas aux travailleurs sociaux, convaincues de n’avoir aucun recours.

La loi prévoit l’accompagnement des locataires en difficulté. Des CCAPEX, commissions de coordination des actions de prévention des expulsions, existent dans chaque département avec un objectif, “essayer d’éviter les expulsions qui sont toujours un échec”, selon Benoît Linot de la Dihal, la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement. La Fondation Abbé Pierre a mis en place une plateforme “Allô Prévention Expulsion” (tel 0810 001 505), où des juristes et des bénévoles informent et orientent les familles. Les services sociaux des UDAF (Unions départementales des associations familiales) travaillent dans le même sens. Il faut au plus vite, reprendre contact avec un travailleur social, toujours montrer sa bonne foi en informant le bailleur de ses difficultés financières, reprendre dès que possible le paiement du loyer, se rendre à l’audience judiciaire, car cela devient un impératif pour bénéficier d’une décision du juge de maintien dans le logement, déposer un dossier de surendettement à la banque de France, remplir un dossier DALO… Le département Droits de l’homme et justice d’ATD Quart Monde est là pour aider à accompagner dans les moments difficiles de la procédure.

Aujourd’hui, Souhalia est presque sortie d’affaire. Son mari a retrouvé un travail, son aîné est au lycée, son enfant malade va mieux. Désormais mère de cinq enfants, elle se projette dans l’avenir avec une existence stable dans un logement social, mais cette étape de vie restera à jamais un traumatisme. “On doit prévenir les gens de ne pas rester seuls dans cette situation, même si on a peur, même si on a honte. C’est comme ça qu’on peut s’en sortir.”

* le prénom a été modifié.

 

Expulsions : oser demander de l’aide

Au Centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand, ATD Quart Monde pratique l’accompagnement des locataires pour éviter les risques d’expulsions.

Anne Lequenne, Christophe Géroudet et Jean Cantin animent le Centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand. Ce centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) est atypique : ici, les résidents qui viennent de la rue ou d’hôtels sociaux peuvent rester le temps nécessaire avant de rejoindre un logement social et les locataires sont accompagnés socialement. “À Noisy, on fait de la prévention d’expulsion”, explique Christophe Géroudet. “Quand on a connaissance, par le bailleur, qu’une famille hébergée dans notre CHRS commence à accumuler les impayés de loyers, on intervient rapidement pour éviter que la dette engloutisse les locataires. » « On cherche à comprendre les raisons de ces impayés, car l’exclusion sociale brouille tous les réflexes : payer son loyer chaque mois, faire un virement, utiliser les outils numériques… plus rien n’est évident”, confirme Jean Cantin.

Tous les partenaires sociaux le notent : en cas de difficulté de paiement du loyer, le premier réflexe est de se replier sur soi et le cercle infernal s’enclenche… La dette gonfle, les aides au logement sont suspendues et le processus d’expulsion se met en marche. Or, la solution est d’oser en parler au bailleur et demander de l’aide : plus on intervient tôt plus rapide sera la solution. Mais la démarche doit partir de la famille. “On est là pour les aider à ne plus être victime et à apprendre à reprendre leur vie en main, mais on n’est pas une assurance tout risque et si on ne parvient pas à dialoguer avec le locataire, la procédure d’expulsion suit son cours malgré nous”, soulignent Christophe et Jean. Au Centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand, l’accompagnement social se prolonge jusqu’au bout, ce qui a permis depuis des années, d’éviter les expulsions.

 

Arrêt Winterstein

En 2013, la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie par 25 personnes expulsées d’un terrain situé à Herblay dans le Val d’Oise et le Mouvement ATD Quart Monde, a condamné la France en estimant que l’État n’avait pas pris en compte les atteintes à la vie familiale et qu’aucune solution de logement n’avait été recherchée. La Cour avait alors rappelé que “la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile”.

Cet arrêt peut être utilisé devant la justice par les personnes en grande précarité qui sont menacées d’expulsion, au stade de la prévention ou devant le tribunal.

 

ATD Quart Monde conteste un décret scandaleux

Dans un décret publié en juillet 2023, le gouvernement autorise la location de locaux jugés jusqu’alors indécents et insalubres et donc interdits à l’habitation. Des logements en sous-sol d’1m80 sous plafond, de moins de 2m de large ou encore avec une salle d’eau à 30 m de distance, et donc potentiellement dans un autre bâtiment, peuvent donc désormais être loués. L’association Droit au logement a fait un recours devant le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de ce texte. ATD Quart Monde, comme la Fondation Abbé Pierre et le Secours Catholique, ont décidé de soutenir ce recours pour défendre le droit à un logement décent.

 

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde d’avril 2024.

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