Le gouvernement justifie son refus d’augmenter les minima sociaux en expliquant que cela pourrait dissuader les allocataires de retrouver un emploi. Jean-Christophe Sarrot, responsable du Réseau Wresinski Emploi d’ATD Quart Monde, explique pourquoi cette affirmation est fausse et avance des solutions pour faire évoluer la société.
Le 14 octobre dernier, le président de la République a estimé qu’une revalorisation des minima sociaux rendrait “difficile le retour à l’activité”. Pourquoi cette idée vous semble-t-elle erronée ?
Ces discours veulent détourner notre attention des vraies questions et nous empêcher d’agir ensemble. Le gouvernement justifie les mesures misérables prises pour les plus précaires par le fait que l’aide doit passer par l’emploi et que l’emploi passe par la compétitivité des entreprises. Ce discours contredit toutes les études qui montrent qu’accorder des aides massives et directes aux entreprises ne permet pas réellement de créer des emplois. Si l’on veut vraiment le faire, il existe des manières plus efficaces.
Alors qu’il faudrait interroger en même temps économie, écologie et social, le pouvoir politique central tient à tout prix à séparer ces questions, en disant : “Accordons toute notre confiance aux grandes entreprises pour créer des emplois” et saupoudrons quelques miettes écologiques et sociales. Mais on ne va pas pouvoir vivre longtemps, en période de crise, en évacuant en permanence la souffrance de millions de familles à coups de préjugés.
Quelles sont les alternatives possibles au modèle actuel ?
Il est nécessaire d’adapter les emplois non plus majoritairement aux perspectives de profit à court terme, mais aux personnes et à la préservation de la planète. À côté des emplois privés et publics traditionnels, il s’agit de tous se mobiliser pour créer des emplois utiles, gérés collectivement et financés par une avance de l’État. Ce dernier rentrera ensuite dans ses fonds par les gains et économies liés aux reprises d’emplois. Quand l’opinion publique aura accepté cela, les discours dominants actuels n’auront plus de sens.
C’est le grand pari de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, dont l’extension a été adoptée par le Parlement le 28 octobre. Il ne s’agit pas bien sûr de l’unique solution, mais il est nécessaire de donner à ces projets les meilleures chances de réussir.
Quels seraient des leviers concrets à mettre en œuvre pour réussir cette transformation ?
Trois leviers peuvent être très forts : l’évaluation des politiques publiques, les expérimentations territoriales et les commandes publiques. Il est très difficile, dans notre pays comme dans d’autres, que l’État central accepte d’évaluer ses politiques à l’aune de critères écologiques et sociaux. Mais c’est une question de transparence et d’égalité républicaine. Sinon, les lois continueront d’être votées à partir de principes idéologiques. Nous avons besoin de plus d’évaluations et de transparence dans les politiques publiques, pour préserver des biens communs vitaux comme la Sécurité sociale, des emplois et des logements décents, une école qui permette la réussite de tous les élèves, etc..
L’État doit également susciter et soutenir de nombreuses expérimentations territoriales dans le domaine de l’écologie, de l’emploi, de la réussite éducative, de l’accès de tous aux soins, etc.
Un troisième levier est les commandes publiques : une collectivité territoriale peut en partie orienter ses commandes en matière de construction, rénovation, alimentation, transports, etc., de manière à créer des emplois utiles, écologiques et accessibles à tous.
Malgré la position du gouvernement, constatez-vous que ces solutions se diffusent actuellement dans la société ?
Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau livre, une nouvelle émission, de nouveaux articles pointent l’urgence de la transition écologique et sociale. On constate également de nombreuses expérimentations de citoyens, d’associations, de villes et de collectivités, qui construisent des valeurs nouvelles : une égale considération de chacun, qu’il soit très, moyennement ou peu “productif” ; la protection de biens communs écologiques et sociaux grâce à une gouvernance partagée ; un ruissellement de bas en haut, pour irriguer la politique depuis le terrain et non l’inverse. Cela passe par la transparence, l’éducation populaire, l’égalité des pouvoirs…
De nombreuses idées novatrices émergent et donnent de l’espoir. Mais, bien sûr, il y a toujours le risque de n’agir qu’entre soi, en écartant les personnes en grande précarité qui parfois s’excluent elles-mêmes, à force d’être mises de côté. Il faut donc rester vigilants pour que les modèles qui sont en train d’être inventés évitent les écueils du système actuel.