Le Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski garde la trace de la vie, des luttes, de la pensée des plus pauvres du monde entier et de ceux qui s’engagent à leurs cotés.
Chaque matin, ils sont une vingtaine à se retrouver autour d’un café pour échanger sur l’actualité et sur l’avancée de leurs travaux. Membres d’ATD Quart Monde, chercheurs, étudiants, stagiaires, visiteurs, ils viennent d’Haïti, d’Argentine, des États-Unis ou encore de Côte-d’Ivoire et font vivre le Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski.
Le lieu est très éloigné de l’image d’un travail solitaire au milieu d’archives poussiéreuses, que craignait Sophie Razanakoto, volontaire permanente, avant de venir à Baillet-en-France. Dans ce centre où l’on collecte les archives des équipes d’ATD Quart Monde de 32 pays, elle trouve une source inépuisable de documents qui nourrissent son engagement. Elle forme l’équipe d’animation du Centre avec Honorine Kouame et Bruno Tardieu.
« Gardez tout »
“La misère, partout dans le monde, est l’objet d’oubli, voire de déni. Les traces des personnes qui la vivent sont effacées. L’existence de ce centre est une réponse à cette volonté de ne pas voir”, explique Bruno Tardieu, son directeur. Il cite ainsi une militante Quart Monde espagnole venue visiter le centre en 2018 : “Nous, les pauvres, la société ne nous aime pas et aimerait qu’on n’ait jamais existé. Maintenant que j’ai vu ce Centre, je sais qu’on ne pourra jamais plus nous effacer”.
L’objectif de ce lieu est de collecter, classer, conserver et communiquer un véritable patrimoine d’écrits, photographies, enregistrements sonores, films et créations artistiques recueillis depuis les débuts d’ATD Quart Monde, en 1957. “Face à une société amnésique, qui répète toujours les mêmes erreurs sur la misère, Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement, a dit aux volontaires : ‘écrivez au jour le jour, sinon on ne vous croira pas. Gardez tout’. Il y a toujours eu cette conscience que ce que les personnes nous disent est précieux et que nous sommes les chroniqueurs de cette vie dans la misère, que la société essaye de ne pas voir”, détaille-t-il.
Chaque archive est décrite et classée pour pouvoir être retrouvée rapidement. Régulièrement, des militants Quart Monde viennent identifier des personnes visibles sur les photos, pour enrichir les descriptions. “C’est un travail colossal, réalisé avec professionnalisme”, précise Loïc Besnard, archiviste du Centre de mémoire et de recherche. Avec Honorine, il accompagne les équipes et les personnes qui souhaitent déposer leurs archives. Et le Centre reçoit chaque année des centaines de demandes de photos, de témoignages sur l’histoire d’une famille, d’une cité ou d’une mobilisation du Mouvement pour un droit.
Comité d’éthique
Une charte de déontologie et de délais de communicabilité a été mise en œuvre par le comité d’éthique, pour encadrer la communication des archives. “Nous sommes là pour faire attention à ce qu’on ne fasse pas n’importe quoi avec l’histoire des plus pauvres. Je n’ai pas envie de retrouver des choses écrites sur ma famille dans le journal, sans avoir donné mon avis”, explique Marc Couillard, militant Quart Monde et membre du comité d’éthique, composé de deux militants, deux alliés et trois volontaires. “Ces archives peuvent être une mine d’or pour la connaissance, une arme pour lutter contre la misère. Mais elles peuvent aussi être destructrices pour des familles, si elles sont utilisées en stigmatisant les plus pauvres”, ajoute Marie Jahrling, également membre de ce comité et militante Quart Monde.
“J’ai connu un homme qui se promenait toujours avec un grand sac marin, dans lequel il avait toutes ses affaires. Un jour, il s’est endormi sur un banc et on lui a volé son sac. C’était toute sa vie, ses photos, ses papiers… Pour moi, le Centre Joseph Wresinski doit être le sac marin de tous les gens en difficulté, qui ont vécu ou vivent la pauvreté. Il ne faut pas que ce soit un endroit où tout le monde se serve quand il a envie, mais il faut que cela reste ouvert pour retrouver son histoire, sa fierté et l’histoire de la pauvreté”, explique Marc Couillard.
Le Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski a entrepris, en 2021, une démarche auprès de l’Unesco pour que ses archives soient inscrites dans le Registre Mémoire du Monde. Cette proposition, si elle est acceptée, serait une réelle reconnaissance de ce centre, qui renferme aujourd’hui “la charge de la preuve de tous les manquements de la société, mais aussi de tous les courages, les solidarités et les actes de paix”, selon Bruno Tardieu.
Contact :
Centre Joseph Wresinski, 2 rue de la gare, 95560 Baillet-en-France
0134083140, centre.wresinski@atd-quartmonde.org
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde d’avril 2022.
Photo : Créations artistiques, vidéos, documents sont archivés au Centre Joseph Wresinski, à Baillet-en-France. © Nathalie Barrois