Créer un outil d’évaluation participative pour que l’expérience du vécu de la pauvreté influence les gouvernants dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de leurs politiques. Tel est l’objectif du rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, Olivier de Schutter, qui a participé les 15 et 16 avril à un Croisement des savoirs et des pratiques, au Centre national d’ATD Quart Monde.
Depuis deux ans, Olivier de Schutter sillonne le monde, notamment pour formuler des recommandations sur la manière dont les personnes vivant dans l’extrême pauvreté peuvent participer à la définition des politiques publiques les concernant. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté est arrivé directement de la frontière ukrainienne en Roumanie, le 15 avril, pour participer à des travaux en croisement des savoirs, avec des militantes Quart Monde, des professionnels du travail social, des experts mandatés sur le projet et des étudiants de la Clinique de l’École de droit de Sciences Po. “Le croisement des savoirs vise à s’assurer que les savoirs de ces différents groupes ne s’ignorent pas, mais se fertilisent mutuellement”, explique-t-il en introduction.
En s’appuyant sur l’étude menée par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford sur les dimensions cachées de la pauvreté, il est venu pour “comprendre comment la prise en compte de l’expérience des personnes en situation de pauvreté aurait permis de mieux définir le RSA et d’en renforcer l’efficacité”. Olivier de Schutter s’appuie pour cela sur l’évaluation participative du RSA remise en janvier 2021 par ATD Quart Monde à la Cour des comptes.
“Notre constat est que notre parole n’a pas ou presque pas été prise en compte. Le rapport de la Cour des comptes évoque les privations matérielles, le non-recours et la maltraitance administrative, mais il ne prend pas en considération les autres dimensions de la pauvreté”, regrettent, de manière unanime, Fatiha, Sheila, Colette et Myriam, militantes Quart Monde. “Nous considérons que le temps de rencontre et de discussion avec les magistrats de la Cour n’a pas été suffisant. Nous avons réfléchi à la manière d’améliorer notre participation aux évaluations. On a besoin de temps pour dialoguer, se faire entendre et que notre contribution soit reconnue. Il faut que ça corresponde à une vraie volonté des décideurs”, ajoutent-elles.
Du temps gagné
Pendant un jour et demi, les participants ont échangé, en groupe de pairs et en plénière, sur les conditions de la participation des personnes en situation de pauvreté à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques, mais aussi à la prise en compte des différentes dimensions de la pauvreté dans ces politiques. Les étudiants ont notamment constaté que “la formation des élites ne reconnaît pas la valeur de la participation des personnes en situation de pauvreté”.
Ce travail sera suivi de deux autres études de cas, liées à des programmes de lutte contre la pauvreté concernant l’accès au logement à l’Île Maurice et à la question des enfants des rues au Burkina Faso. “L’espoir que nous avons, c’est que ce projet nous donne une série d’arguments, avec des exemples très concrets, pour convaincre les gouvernements que faire participer les personnes en situation de pauvreté à l’identification des problèmes et des solutions, c’est du temps gagné. C’est une manière de gagner en efficacité, d’éviter de commettre des erreurs, d’avoir des politiques insuffisamment attentives aux obstacles très concrets que les gens ressentent et affrontent. C’est une manière d’avoir des politiques infiniment mieux outillées pour répondre aux problèmes de la pauvreté”, conclut Olivier de Schutter.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juin 2022.
Photo : Rencontre avec Olivier de Schutter à Montreuil le 15 avril 2022. © JCR, ATD Quart Monde