Membre de l’équipe d’animation locale de Lyon, Justine Marchal est alliée depuis cinq ans. Elle invite chacun à trouver son équilibre dans l’engagement.
« Le lien », c’est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de Justine Marchal. Sa motivation au quotidien est de créer des ponts solides entre des mondes qui ne se côtoient pas beaucoup, entre le social et l’écologie, entre des gens d’univers différents. C’est ce qui l’a poussée à choisir d’abord le métier d’assistante sociale. « Pour moi, c’était évident. Je voulais développer les relations aux autres, construire un lien, même temporaire, avec des personnes qui ont une galère, leur permettre de prendre ce qu’elles veulent ou peuvent de ce que nous proposons, et de continuer plus sereinement. J’étais partie toute guillerette dans cette profession », se souvient-elle.
Dans les faits, cela ne s’est pas vraiment passé comme cela. « Dans l’hôpital où je travaillais, il y avait une incompréhension de ce que je pouvais apporter, qui était perçu comme totalement secondaire. Il y avait une incompréhension entre les équipes médicale et sociale. Cela m’a vraiment violentée. Pourquoi la société ne valorisait-elle pas les choses positives que j’essayais d’apporter ? », se demande-t-elle.
Un garde-fou contre l’exclusion
Justine Marchal abandonne donc ce métier, « frustrée par le manque de moyens et le poids des institutions ». Mais elle reste néanmoins persuadée que sa place est bien là, « en termes de liens avec le public et de rapport au monde ». Elle reprend alors ses études pour faire un master afin de « lier les questions de solidarité et d’écologie ». En 2019, une étudiante de sa promotion, prise en stage par ATD Quart Monde à Lyon, se désiste. C’est finalement elle qui tente cette expérience, sans vraiment connaître le Mouvement. Pendant six semaines, elle participe notamment au Festival des savoirs et des arts. Peu à peu, elle comprend qu’ATD Quart Monde est « une sorte de garde-fou pour nous rappeler, dans tout ce que nous entreprenons, de prendre en compte les plus exclus. Cela force le sens critique, car chaque idée, même belle, est excluante si elle n’est pas pensée en profondeur avec ceux qui sont le plus éloignés ».
Dès la fin de ce premier stage, elle se dit qu’elle ne peut pas s’arrêter là. Elle poursuit donc deux jours par semaine, puis à plein temps pendant sa seconde année de master, et réalise son mémoire de fin d’année sur « la place des plus pauvres dans la transition écologique ». Très investie dans la Maison Quart Monde, notamment pour relancer le groupe d’accès aux droits, elle envisage de faire une pause à la fin de cette expérience de stage, mais le Mouvement la rattrape. Le Centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale géré notamment par ATD Quart Monde, recherche alors une personne dans son équipe sociale. « Je me suis dit que ce serait ma dernière expérience en tant que travailleuse sociale. Cela faisait une belle transition, car ce centre lie l’accompagnement social et la dimension environnementale. » Justine Marchal y reste un peu moins d’un an. Elle découvre qu’il y a parfois « presque une rupture entre le monde classique de l’action sociale et ATD Quart Monde, alors que nous aurions une telle force si on se liait plus ».
Se permettre de repenser les actions
Après cette expérience, elle revient dans la région lyonnaise pour devenir ambassadrice des droits du Territoire zéro non-recours de Vénissieux, un projet qui a pour objectif de faciliter l’accès aux droits. Puis elle décide de se lancer à son compte dans l’accompagnement et la formation à la transition socio-environnementale. Jamais très loin d’ATD Quart Monde, elle fait désormais partie de l’équipe d’animation locale de Lyon et du groupe Écologie et grande pauvreté. « J’ai essayé d’arrêter plein de fois, en me disant que je m’investissais trop et que cela n’avait aucun sens de s’épuiser dans l’engagement. J’ai donc arrêté sur de courtes périodes, pour revenir encore plus forte. Mais ce n’est pas cela le bon équilibre. J’essaye maintenant de faire ce qui me plaît vraiment, pour tenir dans la durée, et mon engagement n’a jamais été aussi intense », constate-t-elle.
Elle souhaite d’ailleurs s’investir sur la question de l’alliance au sein du Mouvement. « J’ai envie de prendre du temps pour valoriser l’engagement des alliés. Parfois, les gens s’engagent et cela devient presque une contrainte pour eux. Ils restent trop longtemps dans la même action et ne se permettent pas de la repenser, de réfléchir à la manière dont ils prennent encore du plaisir à la réaliser, ou pas, s’ils sont conscients de ce qu’ils apportent… », détaille-t-elle. Elle a par exemple organisé un atelier où chaque personne devait partager une action dont elle était fière. « C’était très dur, parce que les participants ne savaient pas pourquoi ils et elles étaient de chouettes personnes. C’est dommage. Il faut rappeler à chacun : peu importe le format de votre alliance, 30 minutes par mois ou 30 heures par semaine, nous sommes heureux de vous avoir avec nous. »
Justine Marchal insiste aussi sur la nécessité de se former, de prendre des temps de recul en équipe. « Moi, je deviendrais folle si je n’avais pas conscience de faire partie d’une grand mouvement, bien plus grand que notre action locale. Sinon je penserais qu’on ne peut pas combattre la misère », précise-t-elle. Elle recommande de partir à la rencontre d’autres équipes et de lieux du Mouvement, comme le Centre international à Méry-sur-Oise ou le Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski, à Baillet-en-France. Pour toujours faire le lien, « créer des synergies, sans s’oublier soi-même ».
Ce portrait est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juin 2024.