La reconnaissance de la misère comme une violation des droits de l’Homme est, depuis toujours, le combat de Bernard Monnet.
Avec sa voix rocailleuse, Bernard Monnet n’hésite jamais à interpeller les personnes présentes autour de lui et à leur proposer de s’asseoir pour discuter. “Je suis passionné par la découverte de l’humain. J’ai toujours envie de mieux connaître les gens. Chaque personne rencontrée est une chance pour combattre la misère”, explique-t-il. Ce combat, il le connaît personnellement depuis sa naissance. Né dans un bidonville à Versailles, il part à l’âge de 5 ans avec sa famille dans le Gers, où une connaissance leur a promis un logement. Le propriétaire change finalement d’avis et il se retrouve à la rue, avec ses six frères et sœurs et ses parents, en février 1960.
Après plusieurs mois de séparation, la famille finit par se retrouver, mais tous doivent se battre pour survivre. “À l’école, je n’arrivais pas à suivre, parce que je ne pensais qu’à la violence de la misère. Mes parents se disputaient beaucoup, parce qu’il n’y avait pas de sous à la maison pour nous faire manger. J’ai compris très tôt que nous n’étions pas comme les autres”, se souvient-il.
Ses professeurs répètent qu’il est “un bon à rien” et acceptent qu’il parte en apprentissage, à 14 ans. “Là, j’ai aussi vu l’injustice. On ne m’apprenait pas le métier, j’étais juste employé comme manœuvre”, dit-il avec colère. Révolté contre toutes ces injustices vécues depuis l’enfance, il devient “un jeune homme violent”.
Un chemin d’engagement
À 20 ans, il part à Toulon rejoindre son frère, qui lui fait découvrir ATD Quart Monde. Bernard Monnet va à la première réunion à reculons : “si c’est encore un curé et l’Église, je n’en veux pas, je ne veux pas avoir affaire à la charité”. Mais il découvre que ce Mouvement “prend en compte la pensée et le savoir des plus pauvres et fait avec eux”. Alors il décide de s’engager. En 1979, il rencontre le fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, qui lui propose de devenir volontaire. “Pour moi, c’était pour les intellectuels, alors que j’étais un travailleur. J’ai beaucoup réfléchi, j’ai interrogé des volontaires. Au bout d’un an, je lui ai écrit pour dire que j’étais prêt”, détaille-t-il.
De 1981 à 1988, il se met donc à la disposition d’ATD Quart Monde pour différentes missions, notamment à Lille où il soutient des jeunes défavorisés, embauchés pour un stage de mécanique. Plusieurs événements lui font arrêter le volontariat. Il y a d’abord l’assassinat de son frère aîné. “J’ai promis à ses enfants de me battre pour eux et je ne voulais pas que cela pèse sur le Mouvement. Je voulais être fier de ce combat”, explique-t-il. Bernard a par ailleurs envie de s’éloigner de la “vie communautaire”, vécue avec les autres volontaires. Enfin, le décès de Joseph Wresinski, en 1988, lui “fout un coup” et il décide de “poursuivre son chemin d’engagement aux côtés des volontaires, en les laissant vivre leurs confrontations entre eux pour continuer à faire vivre le Mouvement”.
Retrouver la paix
Fortement marqué par la première Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre 1987, il s’engage en tant que militant Quart Monde. Il veut faire vivre cette journée, au cours de laquelle on reconnaît publiquement, pour la première fois, que la misère est une violation des droits de l’Homme. “Pour moi, c’était le combat de ma vie. J’avais vu mes parents, mes amis, souffrir, ne pas accéder à leurs droits. Quand on a faim, quand on n’a pas de logement, c’est une violence extrême qu’on subit en tant qu’humain. Je voyais bien que c’était cela le nœud du problème, qui nous poussait dans la violence. Tous les jours, c’est un combat permanent qui nous prend aux tripes.”
Pour lui, ATD Quart Monde donne la possibilité aux plus pauvres de ne plus subir cette violence, en leur permettant d’être écoutés, de réfléchir avec d’autres, de voir leur savoir et leur intelligence reconnus. “J’ai toujours rêvé que le combat des plus pauvres obtienne le prix Nobel de la paix car, en sortant de cette violence que l’on subit, on retrouve la paix intérieure”, affirme-t-il.
Faire force ensemble
Depuis près de 50 ans, Bernard Monnet a vu des évolutions positives, des “petites étincelles”, comme l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée ou un changement d’attitude de nombreuses associations caritatives. “Mais, d’un coup, il y a souvent un orage et on refout les gens dans leur merde. Le combat est permanent”, constate-t-il. Toujours révolté, il s’insurge : “on va supprimer 100 euros à un pauvre parce que, soi-disant, il coûte trop de pognon, tout en mettant des milliards d’euros dans une fusée pour aller sur la lune, alors que cet argent pourrait servir à l’humain. Comment réfléchissent les politiques ? Cela me bouffe la vie”.
Au sein d’ATD Quart Monde, il a notamment pour mission depuis un an de réfléchir à la manière de soutenir les engagements des militants. Pour lui, être militant Quart Monde, cela signifie “s’engager aux côtés des nôtres, les plus pauvres, pour les soutenir, mais aussi se former pour mieux connaître le monde, les droits, et s’engager avec d’autres, pour ne pas rester seuls entre nous”. Il apprécie surtout la manière dont ATD Quart Monde propose de “faire force ensemble” en réunissant dans un même combat militants Quart Monde, alliés et volontaires. “Le fait de réfléchir et de construire ensemble m’a permis de grandir”, estime-t-il, souhaitant “crier haut et fort un grand merci à tous ceux qui s’engagent pour bâtir ensemble une nouvelle société”.
Ce portrait est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de décembre 2023.
Photo : Bernard Monnet en octobre 2023 © Dominique Rouffet