Volontaire permanent à la maison de vacances familiales de La Bise, dans le Jura, Jérôme Kirchner a trouvé “une vraie cohérence de vie” en liant le combat pour l’éradication de la misère et celui pour “préserver cette terre sur laquelle nous habitons”.
C’est en tant que voisin que Jérôme Kirchner a d’abord connu ATD Quart Monde. En 2003, Marie, son épouse, pousse la porte de la maison de vacances familiales de La Bise, dans le village de Mesnay où ils habitent, pour faire du bénévolat. Alors professeur d’activités physiques adaptées dans un centre médical, Jérôme la rejoint souvent pour partager un repas ou une activité avec l’équipe de La Bise et les vacanciers. Il se sent attiré par ce lieu dans lequel il discute avec des personnes qu’il n’a pas l’habitude de croiser.
En 2009, une vingtaine de volontaires permanents participent à une rencontre à La Bise. Jérôme passe du temps avec eux, les accompagne en randonnées et admire leur “lien communautaire assez fort”. Avec Marie, ils se laissent peu à peu “questionner par le volontariat” et s’interrogent : leur “quotidien paisible, dans une maison avec jardin” correspond-il vraiment au sens qu’ils souhaitent donner à leur existence ? L’envie de faire découvrir à leurs enfants d’autres réalités est également bien présente. Le couple saute le pas en 2011. Pour leurs proches, c’est un changement de vie “radical”, que Jérôme perçoit plutôt comme “une suite assez raisonnable”, après avoir côtoyé les équipes de La Bise pendant de longues années.
Construire des liens
Ce choix implique pourtant de quitter la campagne pour s’installer dans une tour de 15 étages à Colmar, en Alsace. Jérôme met alors en pratique sa vision du volontariat : prendre le temps d’aller à la rencontre des habitants et des acteurs du quartier, construire des liens avec eux et leur faire découvrir les facettes d’ATD Quart Monde. Trois ans plus tard, le volontariat les emmène au Centre international du Mouvement, à Méry-sur-Oise, dans le Val-d’Oise. Jérôme travaille au pôle administration, éthique et finances internationales. C’est un challenge pour lui qui n’a “jamais appris à travailler derrière un bureau” et ne connaît rien à la comptabilité. Mais il apprend et, avec ses “questions candides”, il cherche à “trouver les ponts qui relient les équipes salariées et les volontaires sur le terrain”.
Avec sa famille, il découvre ensuite le Mouvement à Londres, en Angleterre. Il est marqué par l’histoire de militants de longue date. Parmi eux, Moraene Roberts le touche particulièrement, elle lui parle de son lien nécessaire et vivant avec la nature et de l’importance de recycler plutôt que de participer à une consommation qui exploite des travailleurs pauvres dans d’autres parties du monde. La période, marquée par la pandémie du Covid, pousse Jérôme et Marie à renouer avec la campagne qu’ils connaissent depuis toujours. Ils quittent Londres au bout de trois ans pour une mission que Jérôme accepte sans hésiter : revenir dans le Jura pour intégrer l’équipe de volontaires permanents de La Bise.
Faire en sorte que “des bulles se croisent”
Ce “bel observatoire de réussite de vies partagées” accueille des personnes qui “font face à un cumul d’embûches” et ne pourraient pas partir ailleurs en vacances. Pour une semaine ou 9 jours, des familles connaissant la pauvreté depuis plusieurs générations côtoient des personnes migrantes “empêchées de travailler et entassées dans des hôtels sociaux”, mais aussi des personnes vivant dans la rue et d’autres “ayant un vécu traumatique lié à des réseaux de prostitution”. Toutes sont reçues par les volontaires et des accueillants, venus offrir à chacun les meilleures vacances possibles. À la fin du séjour, le bilan est toujours le même : “Malgré nos vies tellement différentes, on a réussi à vivre ensemble. On expérimente que c’est possible !”
Jérôme retrouve aussi les liens de solidarité très forts tissés au fil des ans avec des habitants de la région, devenus “Amis de la Bise”. Ils viennent donner des coups de main, proposer des ateliers, des visites de leur ferme ou partager un repas. Tous accueillent avec chaleur les vacanciers, d’où qu’ils viennent. Des journées familiales sont également organisées plusieurs fois par an. Elles réunissent des familles ayant une vie difficile et des amis de l’école ou de la région, “pour que des bulles se croisent”. Pour Jérôme, c’est l’un des apports d’ATD Quart Monde à la société : “Nous sommes des créateurs de passerelles entre des mondes différents qui, sans ces actions, auraient vite fait de s’enfermer dans leurs bulles”.
Lier les combats
À La Bise, Jérôme trouve “une vraie cohérence de vie”. “Au début, quand on me demandait pourquoi je voulais devenir volontaire, je répondais que le combat pour éradiquer la misère me semblait être le plus juste. Je le pense toujours, mais j’ajoute aujourd’hui qu’on ne peut penser l’éradication de la misère sans la lier au combat pour préserver cette terre sur laquelle nous habitons”, explique-t-il.
Il apprécie ce temps passé “les mains dans la terre”, ou à la recherche de “beaux matériaux de récupération” pour faire des travaux auxquels vacanciers et Amis de La Bise participent souvent avec entrain. Il se souvient ainsi d’un “petit bonheur” vécu lors d’un séjour : “avec les vacanciers, nous avons aidé un voisin maraîcher à déterrer ses pommes de terre. Nous en avons rapportées et, le soir, le cuistot les a préparées en frites. C’était la fête !”. Pour lui, c’est aussi cela La Bise : l’entraide, qui “met les gens ensemble” et l’attention portée à une consommation locale et de saison. Au sein de ce “lieu de ressourcement”, il se sent aujourd’hui comblé dans son engagement, “pleinement en lien avec les humains et la terre”.