ATD Quart Monde a permis à Séverine Choquet de “finir de grandir”, mais surtout de s’ouvrir à d’autres réalités de vie.
“L’acceptation”, c’est le mot qui vient spontanément à Séverine Choquet pour expliquer ce qu’ATD Quart Monde peut apporter à la société. “C’est apprendre à accepter les gens comme ils sont, réussir à faire ensemble et comprendre qu’on peut se permettre de sortir du cadre, que cela ne va rien faire exploser”, détaille-t-elle. Elle-même a expérimenté cette “sortie du cadre”.
Née à Saint-Maur-des-Fossés, ville bourgeoise de la région parisienne, elle a “toujours été protégée de la misère” par ses parents qui la pensaient trop sensible. “J’ai été élevée avec des valeurs de partage et d’entraide, mais la notion de charité me mettait très mal à l’aise, depuis toute petite”, explique-t-elle. À l’âge de 18 ans, elle doit organiser un projet avec les Scouts et part à La Réunion, avec quinze autres jeunes, pour mener des actions avec ATD Quart Monde. Là, ils montent une pièce de théâtre avec des adolescents, assurent l’animation pour les enfants, discutent avec les familles, construisent un escalier à la Maison Quart Monde… Mais surtout ils découvrent “une autre façon d’aborder les situations de grande précarité et de faire avec les personnes”.
Bousculer ses certitudes
Ce voyage d’un mois et cette première “acceptation de l’autre tel qu’il est” restent dans un coin de sa tête. Après sept années en tant que cheffe pour les Scouts et Guides de France, elle décide d’aller frapper à la porte d’ATD Quart Monde, motivée pour participer à une Bibliothèque de rue. Mais c’est vers les Universités populaires Quart Monde qu’elle est orientée, d’abord pour participer à un groupe d’alliés, ensuite pour animer le groupe de Paris, puis celui de Créteil. Les premières Universités populaires Quart Monde auxquelles elle participe sont “de vraies claques”. “J’avais vécu à La Réunion des actions dans un cadre festif, avec des jeunes. Là, j’entendais des gens, pour la plupart bien plus âgés que moi, qui avaient une vie difficile depuis des années voire des générations. Ils parlaient de sujets forts, exprimaient leurs difficultés et des manières d’avancer ensemble, des demandes… C’était très fort.”
Séverine Choquet met plus de six mois à parler à ses proches de ce qu’elle vit au sein des Universités populaires. “Ça me tortillait tellement, que j’avais besoin de le digérer avant de pouvoir en parler et d’être capable de répondre aux remarques de mes parents, qui craignaient que je me mette en difficulté.” Ces rencontres régulières, pendant neuf années, bousculent ses certitudes. Alors qu’elle a fait des études de communication et travaille dans une association avec des étudiants américains, elle décide de se réorienter pour devenir conseillère en insertion socio-professionnelle. Un nouveau travail qui ne lui permet plus d’avoir “l’énergie nécessaire pour être à l’écoute des militants Quart Monde de la même manière” dans le cadre des Universités populaires. Après une pause de trois ans, c’est ATD Quart Monde qui revient frapper à sa porte, pour lui proposer de devenir co-déléguée de la région Île-de-France. “Une mission passionnante, mais aussi très frustrante lorsqu’on travaille à plein temps à côté et qu’on ne peut mener tous les projets qu’on aimerait”, constate-t-elle.
Faire entendre sans braquer
Elle arrête donc au bout de trois ans, acceptant cette “limite de temps” dans sa vie d’alliée qui travaille et vient en plus de reprendre une formation. Mais elle n’abandonne pas ATD Quart Monde pour autant. Pour valider son diplôme, elle décide de réaliser son mémoire sur la formation au management inclusif menée par TAE (Travailler et Apprendre Ensemble), l’entreprise solidaire du Mouvement, à Noisy-le-Grand. Une fois diplômée, elle aide TAE à créer une formation en ligne, “Construire une entreprise inclusive”, afin de permettre à tous de découvrir une autre manière de manager.
Aujourd’hui responsable de projets dans une structure accompagnant les jeunes vers le logement, elle estime qu’ATD Quart Monde lui a permis de “finir de grandir et de se former”. Elle tente de distiller “l’acceptation”, parmi ses proches ou ses amis qui, parfois, portent encore des préjugés sur la pauvreté. “Il faut ramer pour ne pas s’énerver et faire entendre des choses sans braquer les gens. Ce n’est pas toujours simple, mais c’est d’autant plus important de garder un lien avec des personnes qui peuvent tenir des propos qui nous choquent. Si on coupe le lien, cela veut dire qu’on ne va rien faire évoluer du tout”, constate-t-elle. Alors elle essaye de changer les regards, un par un s’il le faut. “On sème des graines petit à petit, on ne lâche pas, pour faire comprendre la nécessité d’entendre d’autres visions du monde et réalités de vie”, explique-t-elle.
Dans son métier, Séverine Choquet s’emploie à montrer par petites touches à ses collègues “qu’on peut parfois sortir du cadre pour être utile aux gens. J’essaye de donner à voir ce qu’on ne voit pas quand nous sommes dans un bureau et de montrer qu’on peut avancer ensemble, sans forcément faire entrer les gens dans des cases”. Elle avoue que cela suppose “un lâcher-prise” qui n’est pas naturel pour elle. Mais cette part d’elle-même qui a besoin de contrôler les choses, elle commence aussi à l’accepter “pour être en lien avec les gens, sans jugement”.
Ce portrait est extrait du numéro de mars 2024 du Journal d’ATD Quart Monde.
Photo : © ATD Quart Monde