Styven Andreu et Gwendoline Guerin sont militants Quart Monde à Caen. Le jeune couple, âgé de 25 ans, est notamment engagé pour « faire changer certaines façons de faire des services sociaux » et développer l’accompagnement des familles plutôt que le placement des enfants.
De grandes photos de leurs quatre enfants ornent les murs blancs de leur appartement. Dans le salon, les jouets sont sagement rangés contre le mur. Gwendoline et Styven savent que ce logement, proposé par le CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale), n’est que temporaire, mais ils veulent qu’il soit le plus chaleureux possible pour accueillir leurs jumeaux nés il y a deux ans, ainsi que les deux enfants qu’ils ont eu chacun lors d’une première union. Tous les quatre sont pour l’instant placés et ne voient leurs parents que quelques heures par mois, dans le cadre de visites médiatisées, en présence d’un travailleur social.
“Je veux me battre pour récupérer mes enfants”, affirme Gwendoline. Elle-même a été placée dans des foyers et des familles d’accueil à l’âge d’un mois. Elle a été déclarée pupille de l’État à 4 ans, car sa mère avait coupé tous les liens avec elle. “Pour moi, cela me paraissait normal d’être en famille d’accueil. Je ne manquais de rien. Mais quand on a été placé, on a une étiquette toute la vie. Aujourd’hui, tout le monde me rejette mon histoire à la figure, à chaque audience. ‘Vous avez été placée, donc vous n’êtes pas capable de vous occuper de vos enfants’, disent-ils. Mais ils critiquent leur propre travail alors ?”, s’insurge-t-elle. Styven, quant à lui, a vu son premier fils être placé à l’âge de 3 mois, car il était alors “dans une situation d’errance”. “Je n’étais pas à la rue, j’étais hébergé avec mon fils. Maintenant, j’ai un logement et j’attends toujours. Cela avance doucement, mais au bout de combien d’années ?”, s’interroge-t-il.
Participation au “chantier familles”
Tous deux égrènent la longue liste des décisions pour lesquelles ils n’ont pas eu l’impression d’être entendus ou qui leur semblent incohérentes. “Les services sociaux veulent qu’on travaille. Mais comment faire pour trouver un travail ou une formation quand toutes les visites avec nos enfants sont le vendredi ?”, s’interroge Gwendoline. La jeune femme supporte mal toutes les injonctions données par les travailleurs sociaux quand elle s’occupe de ses enfants. “Je me demande s’ils appliquent vraiment, avec leurs propres enfants, toutes les règles qu’ils nous disent d’appliquer.” Styven regrette pour sa part le manque de soutien et l’engrenage trop rapide des procédures de placement. “Au lieu de placer nos enfants, qu’ils nous aident à faire les choses à leur manière. Si on était riche, il y aurait moins de regards sur nous et ils nous écouteraient plus. Pour nous, cela ne sert à rien de parler, car si on s’énerve, cela nous porte préjudice”, constate-t-il.
Styven et Gwendoline ont pourtant choisi de parler, pour “faire changer certaines façons de faire des services sociaux”. Depuis 2021, ils se sont engagés avec ATD Quart Monde dans le cadre du “chantier familles”, une recherche internationale sur “le rôle des liens familiaux et sociaux dans l’éradication de la misère”. Ce projet réunit une quarantaine de militants Quart Monde français, mais également des membres du Mouvement au Royaume-Uni, en Suisse, aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Belgique, en Espagne, en Pologne et au Québec. Tous sont partis de deux constats : la misère sépare les parents et les enfants et cette séparation prend des formes différentes selon les pays ; tous les parents souhaitent que leurs enfants n’aient pas la même vie difficile qu’eux à cause de la grande pauvreté, et pourtant, la grande pauvreté se reproduit d’une génération à l’autre.
Les deux jeunes caennais ont notamment été marqués par les échanges qu’ils ont pu avoir avec des Polonais au sujet du placement. “On voit qu’on n’est pas tout seul à vivre ça. Ça nous permet d’avoir une autre vision des choses. Pour moi, avant, ce que je vivais, c’était normal, c’était juste mon destin. Grâce à ces discussions, j’ai compris que j’avais les mêmes droits que tout le monde et que je pouvais combattre la pauvreté avec d’autres personnes”, souligne Styven.
Faire évoluer le regard de la société
Avec Gwendoline, il a également participé au travail mené depuis un an avec la Dynamique jeunesse européenne d’ATD Quart Monde. Dans ce cadre, ils sont notamment allés au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, en avril dernier, avec une trentaine d’autres jeunes européens. Tous deux espèrent que leurs réflexions sur le harcèlement, l’isolement et la volonté des jeunes “d’avoir davantage le choix” feront évoluer le regard de la société sur les personnes en situation de pauvreté.
“Pour moi, être pauvre, c’est être toujours dans l’attente, c’est être en panne de nourriture à la fin du mois, compter son argent, mais aussi ne pas pouvoir faire des sorties, partir en vacances, rencontrer d’autres personnes…”, détaille Styven. Il aimerait pouvoir surmonter ces difficultés, mais s’interroge : “si j’étais plus riche, je ne sais pas si je serais la même personne. J’aurais peur de devenir égoïste. Avec le peu que j’ai, j’aime bien aider les gens, sans attendre un retour”. Il avoue qu’avec Gwendoline, ils ont “parfois des coups de mou face à tout ce qui paraît insurmontable”. Mais ils trouvent souvent du réconfort auprès de “tous les amis rencontrés à ATD Quart Monde”. Julie Clair-Robelet
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juillet-août 2023.
Photo : Styven Andreu et Gwendoline Guerin chez eux, à Caen, en juin 2023. © ATD Quart Monde