Projet pilote associé d’ATD Quart Monde géré par l’association Eccofor, l’école de production Juralternance accueille chaque année, à Dole, une vingtaine de jeunes en situation de grande précarité ou d’exclusion pour les former à un métier. Ils racontent leurs difficultés et leurs espoirs.
“Moi, j’ai toujours eu un rêve, c’est devenir champion de boxe. Après l’école, je m’entraîne, c’est un peu dur des fois, mais j’y crois”, affirme Flamenco, 17 ans. Confortablement installé au soleil devant les locaux de l’école de production, il profite de la pause déjeuner pour jouer un peu de guitare. En première année dans la filière métallerie, il souhaite obtenir son CAP, “puis rester deux ou trois ans en France, avant d’aller rejoindre une entreprise en Suisse”.
Le jeune homme fait fièrement visiter les locaux de l’école et nomme chaque machine avec précision. “Ici, on avance à notre rythme, on n’est pas tout le temps sur une chaise en train d’écrire. On travaille pour des clients et il faut que ce soit bien fait. Moi, j’ai détesté l’école classique, je n’étais pas dans mon élément. Quand je n’y arrivais pas, je pouvais rester des heures à écouter sans comprendre, sans qu’on s’occupe de moi”, se souvient-il.
Kassandra, 17 ans, garde le même souvenir douloureux de l’école. “J’avais des difficultés et ils me laissaient tous tomber. Ici, ils te suivent jusqu’au bout, en réexpliquant encore et encore, en te montrant, en t’encourageant. On se sent bien”, détaille-t-elle. Elle est aujourd’hui la seule fille de l’école, inscrite dans la filière garage. “J’ai appris la mécanique chez moi. C’est ma passion”, précise-t-elle.
Donner confiance
Eliott, 16 ans, en deuxième année dans la filière métallerie, garde une image moins sombre de l’école, mais se sent beaucoup plus épanoui au sein de l’école de production. “Rester assis, avec 30 élèves, dans une classe où les profs n’ont pas le temps, à voir uniquement de la théorie, c’est fatigant. C’est un système un peu ancien. Ici, on est en petits groupes, on s’entend bien.” Comme Flamenco, Eliott a une idée assez précise de son avenir, après l’obtention du CAP de serrurier-métallier : “j’aimerais partir sur un CAP d’ébéniste cette fois, dans le sud de la France. Mais, même si une voie se ferme, j’en ai d’autres. Je rêve d’avoir un atelier chez moi, sans patron. J’aimerais aussi devenir créateur de jeux vidéo”, détaille-t-il.
Pour Jean-Yves Millot, le directeur d’Eccofor, “la pandémie de Covid a cassé une dynamique d’apprentissage chez les jeunes. Ils ont besoin d’être dans un environnement un peu sécure et porteur d’espoir. Au-delà du fait de leur apprendre un métier, il faut leur donner confiance en l’avenir et en eux. L’école a un rôle dans la manière dont les jeunes voient la société”.
La pause déjeuner se termine et une partie des élèves se dirigent vers une salle de classe pour le cours d’arts plastiques. Ils vont continuer à travailler autour de leur œuvre réalisée il y a quelques mois et présentée au musée des Beaux-Arts de Dole : une maquette de la mer, avec une chaloupe et une baleine, inspirée du livre Moby Dick. “Nous avons une pratique de création avec les outils qui sont les leurs, le métal, la soudure… L’objectif est de les amener à prendre conscience de ce qu’ils font au quotidien, les effets que produit la soudure, mais aussi à oser, se tromper, revenir en arrière, acquérir une certaine confiance en soi pour savoir critiquer son travail, apprendre à écouter l’autre…”, détaille Pierre, professeur bénévole.
Besoin de travail
Alors que chaque année, 90 000 adolescents sortent de l’école prématurément, sans qualification ni diplôme, les élèves d’Eccofor s’estiment globalement “chanceux” d’avoir la possibilité d’apprendre un métier. Mais s’ils pouvaient, d’un coup de baguette magique, prendre des mesures pour aider les jeunes en général, que feraient-ils ? Pour Demba, 18 ans, arrivé de Guinée-Bissau il y a trois ans et en deuxième année dans la filière métallerie, la réponse est claire : “il ne faut pas laisser tomber ceux qui ont du mal à apprendre”. Cyprien, 18 ans, en deuxième année dans la filière garage, estime que les jeunes ont avant tout “besoin de travail et de trouver des formations”. Lui qui travaille tous les week-ends dans un magasin voit bien l’importance pour les jeunes d’acquérir leur indépendance financière. Pour Kassandra, la question des déplacements est importante pour les jeunes. “Ici, il n’y a pas de transport le week-end. Alors, si tu n’as pas de voiture, il n’y a rien à faire”, regrette-t-elle.
“Le marché de l’emploi est plutôt sévère pour les jeunes. On nous dit qu’il faut de l’expérience pour pouvoir travailler, c’est un cercle vicieux compliqué”, constate pour sa part Eliott, qui propose de “promouvoir davantage la voie professionnelle”, mais aussi de “lutter contre le harcèlement et la diffamation”. Lui qui trouve qu’il y a “un manque d’empathie dans le regard des jeunes aujourd’hui” estime cependant qu’il a trouvé, au sein d’Eccofor, “une deuxième famille”.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mai 2022.
Photo : Les élèves d’Eccofor en plein travail, mars 2022. Eccofor, mars 2022. © Julie Clair-Robelet