Malgré la volonté affichée en 2018 “d’éradiquer la grande pauvreté en une génération”, l’action du gouvernement demeure largement insuffisante et très loin des enjeux. Les associations dénoncent un réel manque d’ambition. Face à des signaux très inquiétants, le Journal d’ATD Quart Monde a choisi de ne pas faire uniquement l’inventaire de ce qui va mal. Il donne la parole à la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, au président du collectif Alerte, Noam Leandri, au délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, et au Secours Catholique, pour proposer des solutions concrètes.
Après plusieurs reports depuis janvier, le gouvernement a présenté le 18 septembre dernier son Pacte des solidarités. Un ensemble de mesures qui doivent prendre le relais de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, dont les résultats sont jugés décevants sur le terrain. Ce Pacte pérennise des mesures déjà existantes pour la plupart et propose, par exemple, la création de 200 000 nouvelles places d’accueil pour la petite enfance, la lutte contre le non-recours et la généralisation de la tarification sociale des cantines. Si certaines annonces sont jugées positivement, elles “ne semblent pas prendre en compte l’urgence de la situation”, a réagi le collectif Alerte, qui réunit 34 fédérations et associations, dont ATD Quart Monde.
Dans le même temps, les signaux alarmants se multiplient : le projet de loi Plein emploi, en discussion à l’Assemblée nationale, accentue la précarisation des travailleurs, stigmatise les plus éloignés de l’emploi et renforce ainsi le risque de non-recours que le Pacte des solidarités prétend combattre ; le gouvernement a annoncé une diminution du financement de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, empêchant ainsi de mettre en œuvre le droit à l’emploi dans les territoires volontaires ; la loi Kasbarian-Bergé, adoptée en juin, accélère notamment les expulsions locatives des ménages en impayés de loyer…
Des mesures structurelles urgentes
Face à cette situation, les acteurs associatifs affirment qu’il est nécessaire d’aller au-delà des mesures visant à gérer la pauvreté, voire l’aggravant, et qu’il est urgent de prendre des mesures structurelles pour éradiquer la pauvreté. L’enjeu est de taille alors que plus de 9,2 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, établi à 1 120 euros par mois pour une personne seule, et que l’inflation pèse fortement sur le budget des ménages les plus pauvres.
Les propositions avancées ici par ATD Quart Monde, le collectif Alerte, la Fondation Abbé Pierre et le Secours catholique ne sont pas exhaustives. Bien d’autres domaines auraient pu être abordés comme la précarité énergétique, la santé, ou encore la formation des travailleurs sociaux, des sujets pour lesquels il est impératif d’entendre les besoins et les propositions des personnes concernées.
Au niveau mondial, “les progrès réalisés ces trente dernières années en matière de lutte contre la pauvreté démontrent que, malgré les guerres, les difficultés politiques, l’humanité peut aller dans le bon sens si l’on se mobilise sur ces sujets”, affirmait en 2021 l’économiste Esther Duflo, prix Nobel d’économie en 2019. Les personnes engagées en France pour mettre fin à l’extrême pauvreté veulent montrer, par ces propositions, qu’il est possible de mener une politique ambitieuse sur l’ensemble des droits fondamentaux et de faire en sorte que la dignité des plus pauvres soit reconnue et respectée.
Minima sociaux
Le collectif Alerte demande depuis plusieurs années déjà le relèvement des minima sociaux au-dessus du seuil de grande pauvreté, qui est fixé à 940 euros par mois pour une personne seule. Il est possible de mettre en œuvre “un revenu garanti indexé à hauteur d’un minimum de 50 % du revenu médian et de l’élargir aux 18-25 ans, tout en développant un accompagnement choisi, adapté à chacun et basé sur la confiance, plutôt que sur les sanctions et les menaces”, souligne la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard.
Les pressions et les mesures de contrôle pesant sur les allocataires du RSA se sont par ailleurs multipliées ces dernières années, alors que les associations et les économistes s’accordent pour pointer l’inefficacité de ce système. “Les pressions ne permettent pas d’établir un lien de confiance avec les personnes qui ont véritablement besoin d’un accompagnement de qualité, et les sanctions sont contre-productives, car elles augmentent le risque de non-recours. Supprimer le minimum vital, par exemple le RSA, aux personnes se démenant au quotidien pour s’en sortir n’est ni digne pour ces personnes, ni efficace pour les pouvoirs publics”, constate par exemple le Secours catholique, dans une note d’analyse du Pacte des solidarités.
Emploi
“Il faut arrêter d’étrangler Territoires zéro chômeur de longue durée“, rappelle Marie-Aleth Grard. Elle réagit ainsi à l’annonce du gouvernement de diminuer les financements de l’expérimentation. “Territoires zéro chômeur de longue durée, c’est la bonne pratique qui ne coûte pas tant que cela quand on regarde les bénéfices sociaux qu’elle peut apporter. On rabote de ce côté et, en même temps, on met des moyens pour faire des contrôles et sanctionner les allocataires du RSA. Nous n’avons pas le sentiment que l’argent est mis au bon endroit”, appuie Noam Leandri, président du collectif Alerte.
Il rappelle cependant que “l’emploi est un levier pour sortir de la pauvreté, mais ce n’est pas le seul. On voit que le taux de chômage en Allemagne ou aux États-Unis est plus faible qu’en France, mais que cela n’entraîne pas une réduction de la pauvreté”. “C’est faire fausse route que de faire de l’accès à l’emploi l’unique réponse et l’unique horizon pour les personnes en situation de pauvreté. L’accès à un emploi n’offre pas la garantie, en soi, de conditions de vie décentes (temps partiel subi, contrats précaires…)”, abonde le Secours catholique.
Logement
“Le gouvernement prend des mesures d’urgence dans tous les domaines, mais il n’y a rien qui permette d’aller vers la résorption des difficultés pour les 9 millions de personnes pauvres et les 4 millions de mal-logés. Cette question d’ambition est un réel problème”, regrette Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Le Pacte des solidarités prévoit ainsi de renoncer à faire des coupes dans le domaine de l’hébergement d’urgence pour maintenir 203 000 places en 2024.
“C’était nécessaire d’avoir ce recul du gouvernement. En même temps, on est en train de parler d’éviter de réduire la voilure, et non d’améliorer une situation déjà compliquée. Car ce n’est pas satisfaisant pour des personnes de rester dans l’hébergement d’urgence”, explique-t-il. Des réponses à court terme sont pourtant possibles, comme “l’augmentation significative des attributions de logements sociaux aux ménages sans domiciles ou aux familles qui sont dans des hébergements d’urgence”, préconise Christophe Robert. Il précise que ces logements doivent être accessibles financièrement aux ménages les plus pauvres.
Le délégué général de la Fondation Abbé Pierre appelle également à “accélérer la mobilisation du parc privé à vocation sociale”. Des dispositifs existent en effet pour apporter une garantie à des propriétaires souhaitant louer leur logement à des personnes en difficulté. “Développer l’intermédiation locative pourrait avoir plusieurs vertus. Il s’agit de logements existants, certains sont vacants parce que le propriétaire n’a pas les moyens de faire des travaux ou n’a pas trop envie de s’embêter avec une location. Mettre plus de moyens sur cette possibilité de mobilisation du parc privé à des fins sociales peut être très intéressant”, détaille-t-il.
Il recommande en outre un “changement de philosophie pour davantage prévenir les exclusions par le logement”. Cela passe notamment par le développement de lieux d’accès aux droits permettant un accompagnement social et juridique, ce que propose le Pacte des solidarités, sans être très clair sur les moyens alloués à cette action. Christophe Robert pointe en outre la nécessité de “relancer fortement la production de logements sociaux”, après une forte baisse du financement de l’État dédié au logement social. “En 2018, 125 000 logements sociaux étaient financés par an. Fin 2023, ce sera 85 000. C’est 40 000 logements de moins pour loger des personnes précaires, c’est énorme.” Il appelle donc le gouvernement à prendre des mesures structurelles “qui créent l’émancipation par le logement et qui offrent des perspectives nouvelles aux plus précaires.
École
Le Pacte des solidarités prévoit la poursuite du dédoublement des classes de grande section, CP et CE1, dans les zones prioritaires, lancé en 2017, une mesure jugée positive. “Cette solution peut fonctionner et pourrait être mise en place à tous les niveaux”, estime cependant Noam Leandri.
La présidente d’ATD Quart Monde rappelle pour sa part la nécessité de “former les enseignants aux pédagogies qui permettent la réussite de tous les enfants et à la connaissance des différents milieux sociaux”. Cette mesure “n’aurait pas nécessairement un coût très élevé » et permettrait de « soutenir les enseignants et de permettre à tous les enfants d’avancer”.
Elle prend pour exemple le projet CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation) mené par ATD Quart Monde, qui permet aux écoles d’expérimenter de nouvelles voies par lesquelles l’enfant socialement le plus exclu sera celui à partir duquel seront réfléchis les projets pédagogiques.
Alimentation
Le Pacte des solidarités prévoit une augmentation du budget du fonds “Mieux manger pour tous” dans les prochaines années. L’un des objectifs de ce fonds est cependant de “conforter les distributions alimentaires comme mode de gestion de l’insécurité alimentaire”, alors qu’il serait nécessaire “d’augmenter la capacité financière des ménages pour garantir un accès autonome à une alimentation durable et de qualité”, souligne le Secours catholique. Il recommande donc que ce fonds “accorde davantage de place à la qualité de l’alimentation et à la participation des personnes concernées par la précarité”.
Cet article est tiré du Journal d’ATD Quart Monde de novembre 2023