Sociologue et professeur à l’Université Paris 8, Nicolas Duvoux a participé au comité d’accompagnement du rapport de la Cour des comptes sur le RSA. Il pointe la nécessité de repenser la place du RSA dans le système de protection sociale.
La Cour des comptes écrit, en introduction de son rapport, que le RSA “constitue le principal instrument de lutte contre la pauvreté”. Est-ce vraiment le cas aujourd’hui ?
Parmi les instruments explicitement dédiés, de manière directe, à la lutte contre la pauvreté, il n’y a aucun doute que le RSA est le filet de sécurité pour les ménages qui n’ont pas d’autres ressources. Il remplit son rôle en assurant un minimum vital. On peut vouloir des améliorations, mais une société avec le RSA est plus humaine et plus juste qu’une société sans le RSA.
Mais j’ai des réticences vis-à-vis de ce raisonnement, car il n’y a pas que des dispositifs qui sont dédiés à la lutte contre la pauvreté qui le font. Les retraites sont par exemple un instrument très efficace de lutte contre la pauvreté des personnes âgées. De manière indirecte, la pauvreté est donc combattue par l’ensemble du système de protection sociale, ou en tout cas, elle devrait l’être.
La Cour des comptes constate “trois faiblesses majeures” du RSA : une atteinte insuffisante du public cible, une faiblesse de l’accompagnement et un accès difficile à l’emploi. En voyez-vous d’autres ?
On voit aujourd’hui une augmentation des prix des produits de première nécessité, qui met sous très forte tension les équations budgétaires. Cela fait très longtemps que les mouvements associatifs disent qu’il y a un problème sur le montant de ce filet de sécurité et cet enjeu n’est pas traité.
Je noterais aussi la place du RSA dans le système de protection sociale et son interaction avec l’assurance chômage, par exemple. Il est nécessaire de ne pas considérer le RSA comme ayant sa propre dynamique, mais de le mettre en relation plus systématiquement avec les autres piliers de la protection sociale. La déconnexion croissante du RSA est un sujet de préoccupation. C’est un dispositif qui doit servir d’alerte, une fois que quelqu’un « tombe » dedans, car c’est comme ça que les gens le vivent. Il faut avoir une approche transversale, regarder la cause, le chaînon qui a manqué dans l’organisation de la société, pour qu’on le répare.
La maltraitance sociale et institutionnelle, mise en avant par ATD Quart Monde, n’apparaît pas dans l’évaluation de la Cour des comptes. Comment l’expliquez-vous ?
Il est extrêmement difficile pour les institutions de reconnaître la violence qu’elles sécrètent, de se poser trop frontalement ces questions. Elles mobilisent régulièrement des associations et des sociologues pour y réfléchir, ce qui montre une intention de prendre en compte les effets non-désirés d’une action. Mais il y a une sorte de rigidité et d’autres éléments entrent en compte, une arithmétique politique qui complique les choses.
Il serait possible d’aménager les institutions, avec un accueil plus respectueux, des formalités moins lourdes, des travailleurs sociaux bien formés, bien rémunérés, avec des emplois stables. Mais il faut avoir à l’esprit que la plus grande violence est le fait qu’autant de personnes ne puissent compter que sur ce type de prestation pour survivre dans notre société.
Enfin, le fait que ces minima sociaux soient souvent l’objet de réformes d’une très grande complexité crée de l’insécurité pour tous, les professionnels et les allocataires.
La Cour des comptes n’évoque pas, dans son rapport, l’ouverture de l’accès du RSA aux jeunes à partir de 18 ans. Cette mesure vous semble-t-elle utile ?
Le taux de pauvreté des jeunes a quadruplé en quelques décennies, donc il y a un réel problème structurel. La société a des difficultés à assumer la protection de la jeunesse et il est nécessaire de se poser cette question. Il existe plusieurs dispositifs pour les jeunes, comme la garantie jeunes. Mais il n’y a pas le principe de sécurisation générale qui intégrerait les jeunes dans le droit commun. C’est un manque.
Cela passerait par le droit à un revenu en cas de difficultés, par le droit à un accompagnement systématique. Ce serait vraiment une chance pour les jeunes, mais aussi pour toute la société, parce que ça permettrait de détendre un peu la course à la formation initiale qui doit déboucher sur un statut d’emploi. Cela permettrait peut-être aussi de réfléchir à la formation tout au long de la vie. Je pense qu’on aurait vraiment intérêt, collectivement, à repenser la manière dont la jeunesse est prise en compte.
En tant que président du comité scientifique du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, quel regard portez-vous sur les plans de lutte contre la pauvreté de ces dernières années ?
Il y a eu, au début du mandat d’Emmanuel Macron, une attention publique explicite sur la question, une série d’engagements. C’est une bonne chose, car cela fait exister le sujet et mobilise les acteurs. Ce n’est pas tellement l’énergie initiale qui manque, mais la continuité du traitement de cette question qui n’est pas toujours réellement portée au plus haut niveau dans l’appareil d’État.
On voit également que d’autres éléments entrent en contradiction totale avec les plans de lutte contre la pauvreté, comme les baisses des prestations telles que les APL, la réforme de l’assurance chômage… C’est souvent une difficulté : on fait de la lutte contre la pauvreté un élément relativement disjoint des autres politiques et on ménage cette tension plus ou moins bien.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mars 2022.