Le groupe jeunes d’Alsace organise de nombreuses activités pour mobiliser la jeunesse dans toute sa diversité. Mais favoriser l’engagement commun de nouveaux jeunes, en situation de pauvreté ou non, se heurte parfois à plusieurs obstacles.
Jalal est arrivé tôt, comme quasiment tous les vendredis. Pour le jeune homme de 21 ans, les rencontres du groupe jeunes à la Maison Quart Monde de Colmar sont “une respiration” dans sa semaine. Il vient donc dès le milieu d’après-midi pour donner un coup de main et passer du temps avec les volontaires. Pendant quelques heures, il oublie un peu son travail de préparateur de commandes dans une usine, et ses années d’errance pour rejoindre la France depuis l’Afghanistan. Assis devant la porte de la Maison Quart Monde, il se met à rêver d’une maison “pas très grande”, avec sa famille, dans un village. “J’ai trop galéré pour mon âge, vécu trop de situations difficiles. J’aimerais pouvoir apprendre un vrai métier et me poser enfin, au calme.” Il aime discuter avec les membres du groupe, faire des jeux ou regarder des films avec eux. Mais il aimerait parfois s’engager davantage contre la pauvreté. “Quand j’étais petit, je voulais que mon métier, ce soit aider les gens. Aujourd’hui, ma vie est plus difficile, je dois d’abord trouver des solutions pour moi. Mais j’ai parfois peur qu’on ne fasse que parler ici, sans agir”, constate-t-il.
Pour Marie, volontaire en découverte du volontariat à Colmar, la remarque de Jalal pose une vraie question. “Il y a un contraste entre les jeunes qui ont envie et besoin de s’amuser, de relâcher les tensions du quotidien et ceux qui veulent un engagement plus concret. Certains ne comprennent pas trop pourquoi on joue au Uno pendant une soirée, alors qu’on est censé lutter contre la pauvreté. C’est compliqué de mettre tout le monde sur la même ligne. Nous essayons de ne pas être seulement dans le loisir et de tendre vers le militantisme, mais cela ne convient pas toujours”, constate-t-elle. Partageant ces réflexions, Simon, volontaire associatif, et Valentine, en service civique, ont ainsi récemment lancé l’activité “Et toi, t’en penses quoi ?”, le samedi, pour réfléchir avec les jeunes à l’histoire d’ATD Quart Monde, aux multiples dimensions de la pauvreté… Il n’y avait qu’un participant au premier atelier, un peu plus au deuxième. “Il faut que ça prenne, cela met du temps. Nous voulons que ces ateliers soient dynamiques, que ce soit un vrai partage avec les jeunes”, explique Simon.
Alors que Marie et Jalal s’affairent autour de la table pour préparer le repas, Mathieu, 20 ans, arrive et s’installe sur le canapé. Il vient de Mulhouse et a simplement envie de se vider la tête. “La vie, en ce moment, c’est compliqué. Comme je n’ai personne à qui parler, je suis passé voir ici”, explique-t-il. Il semble exténué et avoue que, depuis quelques jours, il ne dort et ne mange pas beaucoup. “Il y a des cafards partout chez moi, je ne peux pas trop faire à manger. J’aimerais trouver une vie un peu normale”, soupire-t-il. Il trouve cependant du réconfort dans ses deux passions, le rap et le théâtre, et poste des vidéos de lui sur l’application Tik Tok. “Ça me fait du bien que des gens me voient et me disent qu’ils aiment bien ce que je fais”, souligne-t-il.
Ressentir la force d’un groupe
Mathieu devrait partir cet été pour une semaine avec l’association 82-4000 Solidaires, pour faire des randonnées en montagne, avec d’autres jeunes des groupes d’Alsace, de Franche-Comté et de Lorraine. Ce projet tient à cœur à Marie, mais n’a pas été simple à monter. Dans le cadre de ce partenariat avec 82-4000 Solidaires, la volontaire, arrivée à Colmar en septembre 2021, souhaitait organiser plusieurs randonnées avant le séjour. Elle espérait “rencontrer de nouveaux jeunes en situation de pauvreté pour leur permettre de rompre leur isolement et de gagner en confiance en ressentant la force d’un groupe”. Malgré les nombreux contacts pris, peu de rencontres ont été possibles. “Je voudrais que les jeunes les plus en difficulté profitent de ce séjour à la montagne. Mais ce sont aussi ceux qui ont le plus de contraintes, de peurs de partir aussi loin, pour une expérience qu’ils ne connaissent pas. L’année dernière, deux jeunes seulement sont partis. On verra cette année si nous parvenons à en mobiliser trois”, dit-elle, soucieuse.
Elle reste pourtant persuadée que ce projet peut créer des liens forts entre les participants et leur donner un nouvel élan. Elle se souvient d’une randonnée avec une nuit en bivouac, organisée en février dernier. “Il faisait très froid. Nous avons peu dormi et beaucoup discuté. Une jeune participante m’a dit que, même si cette expérience était dure pour elle, cela lui avait fait du bien, car elle était loin de tous ses problèmes”, se rappelle-t-elle.
Des petites actions, mais de grandes répercussions
Si Marie regrette parfois que peu de personnes soient présentes aux randonnées, aux soirées du vendredi ou aux différentes activités proposées, elle constate qu’elle est en liens réguliers avec de nombreux jeunes, individuellement. “Ils sont surtout en demande d’un soutien moral, d’une présence. Ils ont besoin de parler avec nous. On les accompagne parfois à des rendez-vous pour que le dialogue avec leurs interlocuteurs soit plus apaisé”, explique-t-elle. La jeune femme, qui a prévu de quitter le volontariat en fin d’année, reste néanmoins inquiète face à l’absence d’une “réelle cohésion de groupe”. Elle craint que cette dynamique repose trop fortement sur les membres de l’équipe, qui ne seront plus là en fin d’année.
À ses côtés, Céline, 24 ans, partage son inquiétude. Elle reste cependant persuadée que “chaque petite action peut avoir de grandes répercussions” et garde espoir pour l’avenir. Après avoir été éducatrice, elle réalise actuellement un service civique à la Maison Quart Monde de Colmar et avoue que cela lui a permis “d’ouvrir les yeux”. “J’avais une vision totalement faussée de la pauvreté. Cela a été comme une grande claque pour moi. J’ai ouvert les yeux sur les difficultés rencontrées par les familles en situation de pauvreté. Je ne referai plus mon métier de la même manière aujourd’hui”, constate-t-elle. Pour elle, il est possible “d’influer à petite échelle sur ce qui est autour de nous, même en partant de deux ou trois personnes”. Un optimisme que partage Valentine, 20 ans, également en service civique, en alternance. “On avance pas-à-pas. C’est un très long travail, il faut du temps pour que les jeunes s’ouvrent à nous”, précise-t-elle.
Avant les changements dans l’équipe des prochains mois, tous profitent de cette soirée du vendredi du groupe jeunes. Ils sont sept ce soir autour de la table. Les jeux collaboratifs imaginés par Marie et Simon en début de soirée ont détendu l’atmosphère. Pendant le repas, tous rêvent aux bons petits plats à préparer ensemble pour les prochaines soirées. Puis les jeux de cartes sont sortis. La fatigue de la semaine se fait sentir, mais personne n’a vraiment envie de quitter cette ambiance chaleureuse. Certains reviendront vendredi prochain ou participeront à d’autres activités. D’autres n’oseront ou ne pourront pas forcément revenir. Mais tous savent que cette Maison Quart Monde leur est ouverte pour leur permettre de créer, à leur échelle, les conditions d’un monde plus juste.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juin 2023.
Photo : Jeu collaboratif entre les membres du groupe jeunes, à la Maison Quart Monde de Colmar en mai 2023. © JCR, ATD Quart Monde.