Chaque année, plus de 200 personnes viennent consulter les archives du Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski pour se former, faire une recherche ou retrouver des traces des lieux de leur enfance et de leurs parents. Fouzia, Thierry et Aïcha ont fait cette démarche, pour éviter que leur cité ne “tombe dans l’oubli”.
“La Cité des Sablières, pour nous, ce n’était pas simplement une habitation. C’était une grande famille.” Thierry et Fouzia ont grandi dans les années 1960 dans cette cité construite pour résorber les bidonvilles et censée être provisoire. Avant sa démolition en 2017, avec d’autres habitants et des volontaires permanents d’ATD Quart Monde, ils ont décidé de se plonger dans les archives de ce lieu.
“On trouvait que c’était triste que tout cela s’éteigne, sans rien. On ne peut pas décemment permettre que ça tombe dans l’oubli. On espérait obtenir au moins une plaque sur ce lieu important de notre vie, ne serait-ce que pour nos parents, qui méritent qu’on se souvienne de leurs parcours”, souligne Fouzia. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de vestiges de cette cité qui était coupée de l’extérieur par un mur et ne comprenait qu’une seule entrée.
« Un devoir de mémoire »
Au Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski, ils ont retrouvé avec émotion des photos de leur cité, mais aussi des dessins, des objets et des écrits. “L’un de nous a reconnu son nom sur un dessin d’enfant. Il était étonné et ému que quelqu’un ait gardé ce souvenir”, se rappelle Thierry. “Quand on allait à l’école et qu’on disait qu’on venait des Sablières, on n’était plus rien. Les gens nous regardaient avec dédain et mépris. Mais c’est important de ne plus être ce ‘rien’, de savoir que des personnes venues de l’extérieur nous respectaient, nous consacraient du temps et ont conservé des choses de ce passé. Nous étions sans argent et sans biens peut-être, mais nous étions quand même quelqu’un pour des gens qui venaient de l’extérieur du mur”, ajoute Fouzia.
Dans les archives qu’ils ont pu consulter, ils ont retrouvé des témoignages “des joies et des malheurs de la cité, de cet échange entre les personnes et les cultures, de l’inventivité des habitants, de cette solidarité et de ce partage. De la vie quoi”, détaille Thierry.
Enfants, ils ne connaissaient pas le nom d’ATD Quart Monde. Pour eux, les volontaires permanents étaient les animateurs du “club” dans lequel il y avait de nombreuses activités. “On a compris la dimension d’ATD Quart Monde en voyant toutes ces archives internationales à Baillet-en-France. Ce n’est pas seulement la petite photo de vacances qui est conservée, mais des pans entiers de la vie de quartiers. C’est vraiment un devoir de mémoire, pour ne pas qu’on tombe dans l’oubli, dans l’anonymat auquel nous étions réduits à l’extérieur. On est vus comme les inutiles, les non-essentiels, donc, plus que jamais on a besoin de laisser des traces “, explique Fouzia. “Se souvenir de ceux que personne ne reconnaît, c’est une reconnaissance”, ajoute-t-elle. Mais elle estime que le Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski est utile au-delà de ces souvenirs retrouvés. Pour elle, il doit surtout permettre de “faire des actions pour que ça se passe différemment”.
« Comme des pierres précieuses »
Aïcha a pour sa part trouvé des “trésors cachés” dans ce centre. En 2019, elle est venue faire des recherches sur les années passées par sa famille dans la cité d’urgence des Grands-Chênes, à Versailles. “Je n’avais rien du tout de cette époque et je ne pensais pas retrouver des souvenirs. J’ai pleuré en voyant les photos. J’étais très émue de revoir des personnes qui ne sont plus là, de me rappeler ce qu’on avait partagé et vécu dans ce lieu où la précarité était très difficile”, explique-t-elle. Elle a été touchée de voir la façon dont les archives étaient “manipulées et classées soigneusement, comme dans un musée, comme des pierres précieuses”.
Grâce à des recherches minutieuses, Aïcha a pu retracer le parcours de ses parents. Cette démarche lui a donné envie d’aller plus loin, de questionner plus longuement sa mère à partir des photos retrouvées et d’écrire l’histoire de ses parents. “C’est important de retrouver ses racines, son histoire, de parler de cette communauté très cosmopolite qui vivait-là, de cette fraternité débordante. Ça met du baume au cœur”, conclut-elle.
Cette interview est extraite du Journal d’ATD Quart Monde d’avril 2022.