La dynamique “Population d’ici, population d’ailleurs, un combat commun pour la dignité” d’ATD Quart Monde, composée d’une centaine d’alliés, volontaires permanents et personnes exilées, exprime ses inquiétudes vis-à-vis du projet de loi “pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration”. Marie-Françoise Combaz, co-animatrice de cette dynamique, explique quels sont les points problématiques de ce texte actuellement examiné au Parlement.
Que contient aujourd’hui le projet de loi “pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” ?
Ce projet de loi actuellement examiné à l’Assemblée nationale contient plusieurs volets. Le premier volet prévoit notamment la limitation des conditions d’accès à un titre de séjour et impose davantage de contraintes aux personnes migrantes, comme le fait de devoir déjà parler français et d’avoir des éléments de culture française quand on arrive en France. Le principal axe que privilégie ce texte, c’est la régularisation par le travail dans les métiers en tension. Le processus de régularisation pourra alors être accéléré.
Le deuxième volet du texte est la limitation des recours en cas de refus de la demande d’asile, avec une réduction des délais et des conditions de recours. Il prévoit également une régionalisation des instances de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et l’examen des dossiers, sauf cas particulier, par un juge unique et non plus par un collège de trois personnes.
Un troisième volet vise à restreindre l’accès aux droits fondamentaux (santé, allocations familiales, aide au logement), même pour les personnes en situation légale, ce qui va fragiliser encore un peu plus des personnes et des familles.
Le texte interdit par ailleurs l’enfermement des enfants jusqu’à 16 ans dans les centres de rétention administrative, mais laisse la possibilité d’enfermement pour les 16-18 ans.
Quels sont les points de ce texte qui vous semblent problématiques ?
En tant que Mouvement qui lutte pour l’élimination de la misère, nous voyons que cette loi accentue la pression de la misère sur de nombreuses personnes à différentes étapes de leur parcours d’exil. Nous connaissons des personnes sans papier depuis de nombreuses années, parfois des dizaines d’années, et nous voyons et refusons le déni des droits humains et de la dignité auxquelles elles sont condamnées.
L’objectif de ce projet de loi est de limiter le nombre de demandeurs d’asile, par des blocages aux frontières, par le durcissement des conditions d’accueil… Il vise à favoriser certaines catégories de population qui seront “utiles” à la France, parce qu’elles apportent une force de travail dans les métiers dits “en tension”. Cette sélection entre les personnes “indésirables” et les “désirables” revient à effectuer un tri selon la situation sociale : les plus pauvres dans leur pays seront les plus touchés par les nouvelles mesures de restriction à leur arrivée en France. Il y a donc bien là de la discrimination pour cause de pauvreté. Les personnes exilées avec qui nous sommes engagées nous le disent bien : « en venant en France, je ne cherchais rien, je fuyais mon pays, la pauvreté, une vie sans aucun avenir ». Les exilés sont acceptés en France si leur pays est déclaré “non sûr”, ils peuvent alors demander l’asile. Beaucoup arrivent de pays en guerre. Mais des pays très pauvres (ou politiquement instables) sont déclarés sûrs, et la pauvreté tue dans le monde autant et même plus que les guerres.
La mise en place de chambres territoriales de la CNDA nous fait craindre une disparité des décisions selon la politique de telle ou telle préfecture. La collégialité des décisions nous semblait également importante pour l’étude des dossiers et l’écoute des personnes.
Le texte vise à “améliorer l’intégration”, mais il ne tient pas compte de la situation actuelle de toutes les personnes qui sont déjà sur le territoire français et qui ne sont pas accompagnées comme la loi le prévoit, principalement par manque de moyens suffisants, mais aussi par manque de volonté politique. Nous constatons que, parmi les personnes qui vivent à la rue, un grand nombre sont des exilés. Cette vie dans la misère provoque souvent des problèmes de santé physique et psychologique, qui affectent leur capacité de travailler par la suite. Beaucoup travaillent déjà, avec ou sans contrat, mais vivent tout de même à la rue en raison du manque de lieux d’accueil. Il y a également de nombreux mineurs parmi les demandeurs d’asile ou les demandeurs de titre de séjour, certains, en nombre croissant, ne sont pas accompagnés par l’Aide Sociale à l’Enfance, il est nécessaire de mettre en place des moyens pour les accompagner.
Aujourd’hui, la régularisation par le travail existe, mais pour avoir déjà travaillé, mais pour avoir déjà travaillé, il faut trouver un patron qui accepte de faire tous les papiers demandés par la préfecture et passer par la préfecture, qui bien souvent, ne répond pas… L’accès à un travail décent est très compliqué et ce projet de loi ne répond pas du tout à ce problème.
Le texte porte en son sein des mesures qui vont encore aggraver des conditions de vie déjà insupportables. Cela ne va faire qu’aggraver le rejet, l’exclusion, la condamnation à une certaine inutilité et cela ne permet pas de construire une société qui vive en paix et qui avance vers un futur heureux. La France s’est engagée à mettre en œuvre les Objectifs de Développement durable, dont le premier qui est : “éliminer la pauvreté partout dans le monde et sous toutes ses formes“.
Quelles sont les propositions d’ATD Quart Monde pour améliorer ce texte ?
Nous demandons que les moyens importants actuellement tournés vers la répression soient réorientés vers le traitement des problèmes réels qui se posent aux personnes exilées les plus pauvres présentes sur le territoire : qu’un accueil et un hébergement dignes soient proposés à toute personne vivant à la rue, quel que soit son statut, Français ou étrangers, avec ou sans papier.
Nous demandons que la loi soit appliquée partout de la même manière. Cela suppose de conserver la collégialité de l’étude des dossiers et de la prise de décision, avec des règles claires, afin que ces dernières ne soient pas prises à la discrétion des préfets.
Nous demandons que le droit au travail décent soit ouvert à toute personne qui se trouve sur le territoire français. Cela permettra aux personnes de vivre dignement, cela asséchera le réseau des profiteurs du travail au noir, cela permettra aux personnes de se loger et donc de diminuer l’extrême pauvreté en France.
Une des priorités du Mouvement est de combattre la maltraitance institutionnelle. Nous constatons qu’elle touche particulièrement les personnes en situation de pauvreté, les personnes d’origine étrangère et les exilés. Ainsi, les organismes chargés de traiter leurs dossiers pour accéder aux droits fondamentaux, comme les préfectures, leur sont trop souvent difficile d’accès. Nous demandons que cette maltraitance cesse et que les accès à ces diverses institutions soient facilités. Nous demandons une généralisation des bonnes pratiques, et un recours facilité en cas de preuve d’impossibilité d’accès aux organismes.
Nous demandons l’arrêt immédiat de l’enfermement des enfants et mineurs et la mise en place de moyens suffisants pour l’accueil des mineurs isolés.
Enfin, je voudrais indiquer que c’est hypocrite de faire croire qu’il sera possible de renvoyer dans leur pays des personnes dont les pays ne veulent pas. Quand on voit la situation actuelle du monde, les violences, le dérèglement climatique, on peut difficilement se dire que les migrations vont diminuer dans les prochaines années, la France est loin d’être le pays d’Europe qui accueille le plus de personnes migrantes. Il serait donc préférable de préparer un accueil digne, plutôt que de se mettre des œillères et de se dire que nous ne sommes pas responsables de ce qui se passe juste au-delà de la frontière.
Il est vital pour notre humanité tout entière de travailler à un monde plus juste, ici et ailleurs, et de continuer à bâtir ensemble une société ouverte, plurielle et humaniste.
ATD Quart Monde est également signataire de la tribune du Pacte du Pouvoir de Vivre.