Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme aux Nations Unies, Olivier de Schutter a rencontré le 2 octobre les salariés de l’entreprise Travailler et Apprendre Ensemble, dans le cadre de l’enregistrement d’une émission pour la radio RFI. Il a ainsi pu échanger avec eux sur ce qu’est un travail décent et a salué la manière dont TAE “saisit l’erreur comme une opportunité d’apprentissage collectif et de progrès ensemble”.
Dans le grand hangar de Travailler et Apprendre Ensemble, au milieu des étagères remplies d’ordinateurs, un petit studio radio a été aménagé le 2 octobre dernier. L’entreprise, créée à Noisy-le-Grand par ATD Quart Monde en 2002, accueillait l’émission de Radio France Internationale Éco d’ici éco d’ailleurs, présentée par le journaliste Bruno Faure, autour du thème du travail décent. Installés devant les micros rouges se trouvaient Olivier de Schutter, juriste, professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain et rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme à l’ONU, et Laurent Godin, co-directeur de TAE.
Quelques salariés ont pris le temps de s’arrêter quelques minutes pour écouter l’émission, étonnés par cette agitation insolite sur leur lieu de travail. Certains étaient fiers d’avoir pu échanger avec le rapporteur spécial des Nations Unies, venu déjeuner avec eux avant l’enregistrement de l’émission. Ils ont ainsi pu lui expliquer le fonctionnement de TAE et leurs différentes activités : le reconditionnement informatique, la rénovation de locaux, l’entretien d’espaces extérieurs, et le nettoyage de bureaux.
Rechercher l’épanouissement de chacun
Au micro de RFI, Olivier de Schutter a salué la polyvalence mise en avant à TAE : “elle peut être une source d’épanouissement pour les travailleurs et les travailleuses, qui peuvent apprendre de nouvelles compétences, qui échappent à la routinisation des fonctions”. Dans la plupart des entreprises, “on est forcé de suivre le rythme de la machine, de s’adapter à elle et on a des tâches de plus en plus inintéressantes parce que parcellisées. Une entreprise comme TAE fait l’inverse, en recherchant l’épanouissement de chacun dans la pluralité de ce qu’il ou elle peut apprendre pour développer des nouvelles compétences et multiplier les cordes qu’on a à son arc”, a-t-il poursuivi.
Interrogé par le journaliste sur la définition d’un “travail décent”, Laurent Godin a expliqué qu’une réponse différente pouvait être apportée par chacun des 22 salariés de TAE. Pour certains, c’est “un emploi stable permettant d’avoir un revenu stable”, d’autres mettent en avant “la souplesse” : “quand mon enfant est malade ou quand j’ai un gros souci dans ma vie, je peux m’absenter du travail sans prévenir et revenir quand j’ai fini de traiter le problème. Ce n’est pas grave, l’entreprise va savoir s’adapter et absorber le choc. Je ne suis pas obligé de déclarer ça trois mois à l’avance ou de m’attendre à une punition quand je vais rentrer”. D’autres encore évoquent un emploi permettant de “garder du temps libre pour avoir un engagement citoyen”.
Les témoignages de Mohamed, Myriam, Dominique ou encore Sandra, diffusés dans l’émission, montrent que “tous les salariés de TAE ont des reproches à faire au monde du travail d’aujourd’hui” et ont trouvé un certain équilibre dans cette entreprise “où l’on attend que tout le monde prenne soin des autres”. Un constat sombre du monde du travail que partage Olivier de Schutter : “la pression sur les travailleurs et les travailleuses n’a cessé de se renforcer au cours des dernières années, notamment en raison de la mondialisation de l’économie et de l’obligation pour les entreprises d’être de plus en plus compétitives par rapport à des concurrents étrangers qui pratiquent, de manière délibérée, une politique de salaires très faibles et une protection au travail très en-dessous de ce qu’elle devrait être”.
L’émission Eco d’ici éco d’ailleurs a par ailleurs mis en avant d’autres initiatives semblables à la démarche menée à Noisy-le-Grand, avec des reportages tournés à New York, au sein de l’entreprise Walter (Working and Learning Together Electronics Recycling) lancée par ATD Quart Monde, et à Banguy, en Centrafrique, avec les transporteurs à pied.
“Droit à l’erreur à l’infini”
À TAE, le dialogue est au cœur des relations entre les salariés. “On fait beaucoup d’erreurs, mais on essaye d’utiliser les erreurs pour apprendre quelque chose. Une des règles, c’est le droit à l’erreur à l’infini”, explique le co-directeur de l’entreprise. “Quelqu’un qui se trompe a toujours le droit de se tromper. On considère que, quand il se trompe plusieurs fois, il n’est pas seul responsable de l’erreur. Si cette erreur se répète, c’est parce qu’on n’a pas organisé le travail comme il faut. À ce moment-là, il faut qu’on discute ensemble pour savoir ce qu’on peut faire pour que cette erreur ne se reproduise pas. Nous cherchons ensemble et on trouve rarement du premier coup”, a-t-il détaillé.
Pour Olivier de Schutter, “l’erreur peut être très productive si elle amène tout le groupe à prendre conscience des lacunes qui sont celles de l’organisation du travail. Saisir l’erreur comme une opportunité d’apprentissage collectif et de progrès ensemble est quelque chose de très encourageant”. Le rapporteur spécial de l’ONU a par ailleurs été impressionné par la manière dont la diversité était valorisée au sein de TAE, “au lieu de l’uniformité dans beaucoup d’autres entreprises”. « De tous les enseignements qu’on peut tirer de TAE, peut-être que le plus important c’est que personne n’est inemployable, que toute personne a des qualités qui peuvent être valorisées, pourvu qu’on aménage l’espace dans lequel cette personne travail”, a-t-il conclu.
Écouter l’émission Eco d’ici éco d’ailleurs sur RFI en podcast
Photo : Olivier de Schutter à TAE le 2 octobre 2023. © ATD Quart Monde