Un millionnaire ne sera jamais pauvre dans un pays de milliardaires et la grande pauvreté est une situation de ruptures profondes qui n’a rien de relatif ni d’artificiel.
Il existe bien un moment où, à force de cumuler des précarités dans plusieurs domaines, une personne se trouve dans une situation de rupture et d’exclusion qui la prive d’une existence sociale et de ses droits fondamentaux. Ainsi, en 1987, Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, a donné une définition de la grande pauvreté, qui fait aujourd’hui référence :
La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer des responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible¹.
Cependant, si cette définition insiste sur le caractère multidimensionnel de la pauvreté, les mesures officielles utilisées aujourd’hui en France comme ailleurs se basent sur des indicateurs quantitatifs de la pauvreté, essentiellement centrés sur l’aspect monétaire : les revenus, l’accès à un panier de biens, les « conditions de vie » …
Comment mesure-t-on la pauvreté en France aujourd’hui ?
Pour les Nations unies et l’Union européenne, une famille est « pauvre » si son revenu se situe sous un seuil de pauvreté défini à 60 % du revenu médian². En France, on estime donc qu’en 2021 une personne seule vit sous le seuil de pauvreté si ses revenus sont inférieurs à 1 158 euros par mois³.
- Selon l’Insee, 9 117 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté monétaire en 2021, soit 14,5 % de la population française.
- Selon l’Insee 2,1 millions de personnes vivent sous le seuil de grande pauvreté (fixé à 40 % du niveau de vie médian) en 2018, soit 3,2 % de la population française⁴. Ces personnes vivent avec 752 euros par mois pour une personne seule. S’y ajoutent celles et ceux hors radars qui échappent aux statistiques.
A noter qu’à ces indicateurs s’ajoutent celui de l’intensité de la pauvreté, mesurant l’écart entre le seuil de pauvreté et le revenu médian des personnes vivant sous ce seuil, et celui de la persistance de la pauvreté, qui fait référence à la part des ménages pauvres qui l’étaient déjà au moins deux ans sur les trois années précédant la mesure.
Remplaçant depuis 2020 l’ancien indicateur français de pauvreté « en conditions en vie », cet indicateur est mesuré chaque année par Eurostat. Une personne est considérée en situation de privation matérielle et sociale lorsqu’elle cumule au moins 5 privations ou difficultés matérielles parmi une liste de 13 critères.
En 2022, le taux de privation matérielle et sociale de la France est passé à 14,6% contre 11,1% en 2021. C’est supérieur à la moyenne de l’Union européenne qui est de 12,7%⁵.
Les dimensions cachées de la pauvreté
On voit les limites de ces différents taux de pauvreté qui ne mesurent que ce qui est visible et quantifiable. Or, la pauvreté est également « sociale » : être pauvre, c’est être empêché d’atteindre certaines « normes » sociales, ne pas avoir accès aux mêmes droits que tout le monde. Comme la pauvreté ne peut pas se résumer qu’à une question de moyens, elle ne peut se mesurer qu’en terme monétaire.
C’est pourquoi ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford ont lancé en 2016 une recherche participative internationale qui, pour la première fois a associé des personnes en situation de grande précarité comme co-chercheurs afin d’identifier « les dimensions cachées de la pauvreté »⁶.
En France, elle a permis de dégager huit dimensions de la pauvreté : privations matérielles et de droits, peurs et souffrance, dégradation de la santé physique et mentale, maltraitance sociale, maltraitance institutionnelle, isolement, contraintes de temps et d’espace, compétences acquises et non reconnues par la société.
Ces « dimensions cachées de la pauvreté » ont pour but de faire avancer la pensée globale sur la nature et la mesure de la pauvreté et de mettre en place de nouveaux indicateurs moins technocratiques et davantage nourris par la vie des premiers concernés. Objectif à long terme : contribuer à des actions de terrain plus efficaces et à l’élaboration de meilleures politiques de lutte contre la pauvreté aux niveaux national et international.
Car mieux la combattre la pauvreté, c’est d’abord mieux la comprendre !
- Définition contenue dans le rapport « Grande pauvreté et précarité économique et sociale » présenté par Joseph Wresinski au CESE en 1987.
- Le revenu médian partage la population en deux moitiés : l’une touche moins et l’autre touche plus que ce revenu.
- En 2021, les inégalités et la pauvreté augmentent », Etude de l’Insee, novembre 2023. (voir aussi : https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/33_PAU)
- « Revenus et patrimoine des ménages », Rapport de l’Insee, 2021
- Taux de privation matérielle et sociale par âge et sexe, Données Eurostat, 2023
- « Les dimensions cachées de la pauvreté », Rapport international, ATD Quart Monde / Université d’Oxford, 2019.