Alors que rien ne prouvent qu’elles soient efficaces, les aides aux entreprises constituent déjà un manque à gagner important pour les comptes publics.
La volonté de préserver les emplois et de favoriser la croissance économique a conduit la France à se doter d’un système d’aides aux entreprises de plus en plus large. Ainsi, sur un portail créé par la Chambre de métiers et de l’artisanat, on peut lire début janvier 2024, qu’il existe en France près de 2 000 aides publiques aux entreprises¹ : réduction et exonérations de cotisations, abattements et crédit d’impôts, apports en capital, subventions, taux de TVA réduits…
« Un pognon de dingue » …
Le montant global des aides publiques aux entreprises n’est pas précisément évalué. Cependant, en 2018, Gérald Darmanin, alors ministre du Budget, évoquait un montant de l’ordre de 140 milliards d’euros².
Un rapport pour l’Institut de recherches économiques et sociales réalisé en 2022 par des chercheurs de l’université de Lille évaluait quant à lui à 157 milliards d’euros le montant global des aides publiques aux entreprises en 2019. Cela représente près d’un tiers du budget de l’État (quand les aides aux entreprises avoisinaient en moyenne les 30 milliards d’euros par an dans les années 1990)³. Et c’était avant le « quoi qu’il en coûte », martelé pendant et après la crise économique liée au Covid.
Aussi, selon les calculs de l’OFCE, l’écart n’a jamais été aussi grand entre le taux de prélèvements obligatoires des ménages et celui des entreprises, ces dernières contribuant de moins en moins au financement collectif tout en en bénéficiant de plus en plus⁴. Même constat du côté de Maxime Combes, économiste à l’Observatoire des multinationales et co-auteur d’Un pognon de dingue, mais pour qui ?. Selon lui, « la nature de la dépense publique se transforme : on rabote l’accès aux prestations sociales et aux services publics des ménages d’un côté, et on étend l’intervention publique en faveur des entreprises, de l’autre »⁵.
… pour une efficacité qui reste à prouver
S’il est difficile d’évaluer leur montant global, il est encore plus complexe de mesurer l’impact des aides publiques aux entreprise sur l’emploi. Cependant, de nombreuses voix émettent une série de critiques quant à leur efficacité.
En outre, diverses études s’accordent sur le fait que les aides publiques aux entreprises entraîneraient des effets indésirables qui en limitent l’impact sur l’emploi, parmi lesquels :
- des effets d’aubaine : l’État subventionne des emplois qui auraient de toutes façons été créés ou maintenus ;
- des effets de substitution : les entreprises embauchent en contrat aidés des personnes qu’elles prévoyaient d’embaucher de toute façon en contrat non aidé ;
- des effets de seuil : les entreprises évitent de franchir des seuils – et donc parfois à embaucher plus et mieux – pour continuer à bénéficier des aides.
Plusieurs exemples illustrent même ce qui pourrait s’apparenter à un véritable gâchis. C’est le cas du célèbre Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Les travaux menés par France stratégie ont ainsi montré que le CICE avait été extrêmement coûteux au regard du peu d’emplois créés ou sauvegardés : « 100 000 emplois par an environ pour un coût de l’ordre de 18 milliards d’euros en 2016 »⁶. Les premiers travaux sur sa transformation en allègement de cotisation sociale vont dans le même sens⁷.
Sur le plan de l’équité républicaine, on peut enfin s’interroger sur le fait que les pouvoirs publics attendent de plus en plus de « contreparties » de la part des bénéficiaires de minimas sociaux alors qu’ils n’en demandent jamais aux entreprises qui bénéficient des aides publiques de l’Etat.
Une autre politique de l’emploi est possible !
Une étude montre que si l’on transférait au moins 6 milliards d’euros des programmes de réduction de cotisations sociales vers des programmes de créations d’emplois plus directes, cela en créerait davantage⁸.
Depuis 2017, l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée fait d’ailleurs la démonstration, que créer des emplois en partant des personnes et des territoires, c’est possible. Avec la mobilisation des acteurs locaux et la création de 67 entreprises à but d’emploi dans 58 territoires habilités, Territoires zéro chômeur de longue durée a en effet permis la sortie de la privation durable d’emploi de plus de 3 600 personnes qui en étaient privées depuis 4 ans et 9 mois en moyenne.
Or, le coût annuel brut d’un emploi créé dans le cadre de Territoires zéro chômeur de longue durée s’élève à 22 500 €. Un coût bien en dessous de celui des autres politiques de créations d’emplois mises en place depuis 30 ans.
- http://aides-entreprises.fr/
- Voir : https://www.liberation.fr/checknews/2018/05/24/est-il-vrai-que-les-aides-aux-entreprises-coutent-140-milliards-et-representent-autant-que-les-aides_1655245/
- « Un capitalisme sous perfusion : Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises », Rapport de l’Ires, 2022.
- « Une analyse macro et micro économique du pouvoir d’achat », Etude de l’OFCE, 2022.
- Entretien dans Alternatives économiques, janvier 2023.
- « Évaluation du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Synthèse des travaux d’approfondissement », Rapport de France Stratégie, 2020.
- « Du CICE aux allègements de cotisations sociales, un bilan calamiteux », Article de l’Observatoire de la justice fiscale, 2022.
- C. Carbonner, B. Palier, M. Zemmour, « Exonérations ou investissement social ? Une évaluation du coût d’opportunité de la stratégie française pour l’emploi », LIEPP Working Paper nº34, 2014.