Des Bibliothèques de rue aux Universités populaires Quart Monde en passant par le projet Osee, Isabelle Thibault partage depuis plus de 20 ans “des mots et des maux, avec des personnes pour qui les valeurs humaines ont un sens”.
Que ce soit dans son atelier de céramique niché au cœur du 19e arrondissement ou dans un bidonville de Seine-Saint-Denis, Isabelle a pour moteur la création : créer des liens, des livres, des œuvres collectives, des expositions, des lieux de rencontres… À l’image de ses céramiques alignées sur les étagères, son engagement, depuis plus de 20 ans, au sein d’ATD Quart Monde a de multiples facettes.
C’est en 2001 qu’elle pousse la porte du Mouvement après huit ans passés aux Restos du cœur et aux côtés de nombreuses associations comme Médecins du monde ou le Samu social. “J’ai intégré que la misère n’est pas uniquement au bout du monde, qu’elle est aussi au pied de chez soi et que l’assistance ne permet pas toujours aux personnes en difficulté d’avancer. Alors, j’ai cherché une association qui lutte contre les droits bafoués, l’inégalité et les violences.” On lui donne alors rendez-vous dès la semaine suivante dans un bidonville, à Saint-Denis.
Au milieu des rats et des baraques en planches où vivent près de 400 personnes, elle découvre la force d’une équipe de Bibliothèque de rue. “J’ai rencontré des amis, de différents âges, origines sociales, nationalités et religions, mais avec une vraie complémentarité et une priorité : transformer les choses, avec dignité, ensemble.” Elle voit aussi le courage des habitants de ce lieu improbable, leur “acharnement à survivre, leur accueil chaleureux quelles que soient les circonstances, leur dignité”. Au rythme des expulsions dans des lieux de vie impensables comme une friche ferroviaire ou une marbrerie funéraire à l’abandon, la Bibliothèque de rue suit les familles.
Alors directrice d’une agence de communication, Isabelle ressent l’urgence de témoigner dans son entourage professionnel, familial et au-delà, et de lutter contre les idées reçues. Avec son compagnon, François Mayu, elle monte, en 2006, une exposition intitulée “Bidonvilles aux portes de Paris”. Avec des images et des textes percutants, ils souhaitent avant tout “bannir les ‘je ne savais pas’”.
Se relier à la ville
En 2010, les enfants rencontrés chaque semaine ont désormais pris l’habitude d’aller à la bibliothèque municipale. Ils ont également pu rencontrer le maire de leur ville, le député, découvrir le théâtre, le cinéma, le centre de santé ou la caserne des pompiers, et participer, avec l’équipe, à la création d’un livret. La Bibliothèque de rue n’a alors plus de raison de continuer à cet endroit. “Quand ils ont été bien reliés à leur ville, nous avons pensé que nous pouvions quitter les lieux, après une grande fête.” Mais les parents restent quant à eux demandeurs d’accompagnement. Un groupe de réflexion est mis en place avec des personnes rencontrées dans les bidonvilles et les cités d’Aubervilliers, Saint-Denis, La Courneuve, le Pré-Saint-Gervais ou le Bourget.
La Bibliothèque de rue s’implante ensuite square Roser, à Aubervilliers, de 2015 à 2018, puis en cité, square Préssensé. “Nous nous installons dans un quartier où il n’y a aucune offre publique, aucune offre culturelle. La population est laissée pour compte et le quartier très défavorisé. Des enfants nous ont dit : ‘vous viendrez une fois et nous laisserez tomber, comme les autres’.” Mais, depuis trois ans, l’équipe est bien là, chaque mercredi. Avec les autres membres, Isabelle se bat pour qu’un local muré et insalubre soit réhabilité et qu’un lieu de rencontres soit créé pour les habitants. “Je n’ai pas l’habitude de réclamer des choses pour moi. Mais se battre pour les droits de quelqu’un, je peux et dois le faire. Il faut avoir du culot en tant que citoyenne pour clamer qu’une situation est inadmissible.”
Un moment indispensable
Isabelle rejoint également en 2016 le groupe d’alliés de l’Université populaire Quart Monde d’Île-de-France, qu’elle anime de 2018 à 2020. “C’est un moment essentiel. Que de mots et de maux échangés en toute bienveillance, avec des personnes pour qui les valeurs humaines ont un sens”.
Fin 2020, elle se lance aussi, en tant que personne ressource, dans le projet Osee (Osons les savoirs d’expérience de l’exclusion). Avec une amie, alliée de la Bibliothèque de rue, Blanca Comas, elles accompagnent Aminata dans cette année de préqualification. La jeune femme de 20 ans a arrêté sa scolarité en début de première et souhaite profiter de cette année pour accéder à une formation qualifiante. “Je doutais de mes compétences et du temps possible à lui consacrer. Mais, comme nous étions deux, j’ai finalement accepté avec enthousiasme.” Aminata a réussi son concours en juin 2021 pour une école de travail social. “C’est génial, je suis heureuse autant ou plus qu’elle”, se réjouit Isabelle. Elle compte bien continuer à soutenir la jeune femme dans sa formation.
D’autres projets au sein du Mouvement pourraient la tenter, mais elle veut aussi garder du temps pour elle. “Pour agir, j’ai besoin de conserver cette énergie positive qui m’anime.” Julie Clair-Robelet
Cet article est issu du Journal d’ATD Quart Monde de novembre 2021.
Photo : © Isabelle Thibault