Réunissant des juges des enfants, des travailleurs sociaux, des responsables de lieux d’accueil, des alliés et des militants Quart Monde, le département Vacances d’ATD Quart Monde a organisé les 3 et 4 avril une rencontre sur les obstacles au départ en vacances et les solutions à apporter.
“Comment faire pour se retrouver dans une gare quand on ne sait pas lire ? Comment laisser son logement dans un hôtel social si on n’est pas sûr de le retrouver au retour ? Comment oser demander des vacances, quand on ne travaille pas ?” Pour Diego, Dominique ou encore Faiez, la liste des obstacles au départ en vacances est longue, en plus de la barrière financière. Leurs craintes ont surpris les participants venus de toute la France réfléchir au droit aux vacances pour tous, à l’invitation du département Vacances d’ATD Quart Monde. “Je ne pensais pas qu’il y avait autant de peurs par rapport au fait de partir en vacances”, ont ainsi exprimé les sept travailleuses sociales. Par “manque de temps”, en raison de leur “méconnaissance des dispositifs d’aide aux vacances”, mais surtout parce que les projets de vacances “n’apparaissent pas comme une priorité”, elles ont avoué que ce n’était pas un sujet qu’elles évoquent beaucoup avec les personnes accompagnées.
Et pourtant, “c’est souvent quand la vie est lourde que cela nous fait du bien de partir”, ont rappelé les membres du groupe des accueillants, venus de la maison de vacances familiales d’ATD Quart Monde, La Bise, et de l’association 82-4000. “Pour beaucoup de personnes, les rêves ont toujours été fauchés en plein espoir. Quand on n’arrive jamais à prendre du temps pour soi, comment imaginer prendre une semaine de vacances ? Pourquoi rêver quand on sait que cela ne se réalisera pas ? Alors ces personnes enfouissent profondément ces rêves empêchés”, ont-ils expliqué.
Des bienfaits trop peu mesurés
Lors des audiences de placement des enfants, la question des vacances en famille est également totalement absente, ont constaté les quatre juges des enfants. “Personne ne nous sollicite sur cette question et nous avons tendance à laisser faire l’Aide sociale à l’enfance. Nous n’avons pas le réflexe de demander aux familles si elles ont des projets de départ avec leurs enfants. Et puis, c’est plus simple pour nous de faire partir un enfant avec sa famille d’accueil ou son foyer. C’est sûrement une solution plus confortable, un peu lâche peut-être”, ont-elles expliqué, mettant en avant elles aussi leur “peur” qu’un séjour se passe mal.
La plupart du temps, ni les personnes en situation de pauvreté, ni les travailleurs sociaux, ni les juges des enfants n’osent donc aborder ensemble ce droit aux vacances, reconnu notamment dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Et, même si elles ne sont pas reconnues comme un droit fondamental, mais comme un “objectif national” dans la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions, les vacances permettent souvent de nombreux changements dans le quotidien des personnes en situation de pauvreté. “À leur retour, nous constatons combien le lien parents-enfants s’est renforcé. Une fierté s’est installée. Des personnes reprennent confiance en elles, se remettent à chercher du travail, s’intègrent davantage dans la société… Ce sont des choses qu’on ne mesure peut-être pas assez”, a souligné le groupe des référents vacances d’ATD Quart Monde, qui prépare avec les personnes en situation de pauvreté les dossiers de financement et l’accompagnement jusqu’au lieu de séjour.
“Quand on entend le mot vacances, on pense souvent au repos, au farniente. Mais il y a aussi tout ce qui se joue derrière, par exemple en termes de construction de la vie familiale”, ont ajouté les accueillants. Lorsque les enfants sont placés, un séjour de vacances avec leur famille est parfois une occasion unique de réunir une fratrie, de permettre aux parents de passer du temps avec leurs enfants et de se créer ensemble des souvenirs.
Mieux communiquer
À l’issue de la première journée de réflexions, deux obstacles au départ en vacances ont été retenus par la trentaine de participants : les peurs et l’absence de reconnaissance du droit aux vacances dans la société. Par groupes de pairs, puis en séance plénière, ils ont proposé des solutions pour lever ces obstacles. Les juges des enfants ont ainsi notamment proposé de “prendre l’initiative, à l’audience de parler des vacances”. Une préconisation accueillie avec un grand étonnement par les militants Quart Monde, qui n’imaginaient pas “voir les juges bouger dans leur sens”. Interdire l’expulsion d’une personne vivant dans un hôtel social ou un logement précaire pendant qu’elle est en vacances devrait également être inscrite dans la loi, ont estimé les juges.
Une meilleure communication sur les différents lieux d’accueil pourrait également être mise en place pour les professionnels, qu’ils soient juges ou travailleurs sociaux. Militants Quart Monde et accueillants sont également invités à partager plus largement leurs expériences. “Nous devons donner envie aux personnes qui ont la vie très difficile de partir en vacances. Si on arrive à faire rêver, cela aidera à dépasser les peurs”, ont précisé les membres de La Bise et de 82-4000.
Le départ en vacances d’un enfant placé avec ses parents et non avec sa famille d’accueil pourrait également devenir “la règle et non l’exception”. Les juges seraient ainsi obligés de motiver leurs décisions s’ils ne respectaient pas cette règle, a préconisé le groupe des juges des enfants.
Ne pas fixer d’objectifs aux vacances
Les débats se sont ensuite portés sur la nécessité, pour les professionnels, d’expliquer à leurs pairs ou dans leurs rapports les “bénéfices” des vacances, pour permettre aux personnes en situation de pauvreté d’en profiter, souvent dans des structures bien précises. “Il faut qu’on puisse expliquer ce que cela produit. C’est en montrant les coûts évités pour l’État quand les parents vont bien au retour d’un séjour, que cela va motiver les institutions à s’y plonger et à apporter des financements”, ont expliqué, pragmatiques, les juges des enfants.
Une réalité qui ne doit pourtant pas faire oublier le but des congés. “Notre objectif, c’est que les personnes accueillies à La Bise passent les meilleures vacances possibles. Le reste, cela leur appartient. Si d’autres fixaient des objectifs à nos vacances, ce ne serait plus vraiment des vacances. Il faut respecter cette ‘gratuité’ des vacances et permettre à ces personnes de sentir qu’elles sont des adultes à qui l’on fait confiance”, a rappelé, Sylvain Lestien, volontaire permanent à La Bise. Ces propos ont été appréciés par les militants Quart Monde, rêvant de “vacances où ce soit la complète liberté, sans être fliqués”, comme ils ont l’impression de l’être le reste du temps. Même si dans les faits, cette liberté peut aussi leur faire peur…
Appelant de ses vœux une loi de financement pour “multiplier les lieux de vacances dans lesquels les familles vivant la grande pauvreté seraient bien accueillis”, le volontaire permanent a aussi souligné la volonté de La Bise de “mélanger les gens”.
Ces deux jours de réflexion doivent contribuer à ouvrir “un chapitre plus politique” du combat mené par ATD Quart Monde pour permettre à tous d’accéder aux vacances, a affirmé Jacqueline Doneddu, animatrice du département Vacances d’ATD Quart Monde. Un contact a d’ores et déjà été établi avec le député des Yvelines, Benjamin Lucas, qui va rencontrer des militants Quart Monde sur ce thème le 9 juin prochain. Il souhaite notamment co-construire, avec ATD Quart Monde, une proposition de loi, qu’il devrait déposer à l’Assemblée nationale à l’automne. Pour Jacqueline Doneddu, les solutions envisagées pour dépasser les freins aux vacances vont ainsi être désormais portées par le Mouvement auprès des institutions et de la société en général pour “faire reconnaître ce droit méconnu, souvent ignoré voire nié”.
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de mai 2023.
Photo : Séjour d’escalade avec l’association 82-4000 Solidaires