Militants Quart Monde, ils ont participé au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, à des conseils de quartier ou encore à des réunions de locataires. Ils expliquent quelles sont pour eux les conditions d’une participation réussie.
Maria, Doris, Henry ou encore Lucienne participent régulièrement aux Universités populaires Quart Monde, mais aussi à des travaux du Croisement des savoirs et des pratiques ou, pour certains, au groupe de travail d’ATD Quart Monde sur la Stratégie nationale de prévention de la pauvreté. Ces expériences les ont poussés à prendre la parole dans d’autres instances, que ce soit au niveau de leur quartier, de leur ville ou du pays.
Mais pour ces militants Quart Monde, la question du bien-fondé de leur participation et des conditions dans lesquelles ils vont pouvoir s’exprimer se pose toujours. « Il ne faut pas faire ça à la légère, ne pas se précipiter sinon les gens restent au bord de la route. Il faut un référent ou une structure pour accompagner les personnes invitées à participer. Sinon, elles peuvent se retrouver en grande difficulté, trop se dévoiler. Si on y va seul, on va droit dans le mur », explique Maria, militante Quart Monde de Reims.
Les instances participatives, quelles qu’elles soient, doivent ainsi s’interroger sur la place qu’elles souhaitent réellement donner à chaque participant. « Souvent, les élus nous demandent de venir parce qu’ils ont besoin de paroles, mais est-ce qu’on nous le demande réellement pour savoir nos attentes et pour construire ensemble ? » s’interroge Doris, militante Quart Monde de Lyon. « Parfois, les membres des institutions ou les élus replacent les paroles des personnes concernées en dehors du contexte et dans un autre objectif, c’est déformé. Dans ce cas, on sert d’alibi », regrette Nathalie, militante Quart Monde de Dijon.
Un vocabulaire commun
Tous pointent la nécessité d’une réelle co-construction et non d’une relation « entre les ‘sachants’ et les usagers », comme le souligne Lucienne, militante Quart Monde de Dijon . « Il faudrait, comme condition de départ, dire que nous sommes égaux, chacun avec notre expertise, mais il n’y a pas celui qui sait et celui qui ne sait pas. Il y a une rencontre, un échange qui doit se valoir. Nous sommes prêts à apprendre, mais il ne faut pas nous dire : ‘moi, je sais parce que je suis un professionnel, attendez, je vais descendre les escaliers pour vous rejoindre’. C’est humiliant d’entendre cela », ajoute Nathalie.
Cette co-construction repose notamment sur le partage d’un vocabulaire commun pour être sûr de bien se comprendre. « Il faut oser expliquer ce que l’on veut dire, reformuler et aussi oser demander d’expliquer un mot ou une phrase, c’est essentiel », précise Françoise, militante Quart Monde à Bordeaux.
Chaque participant demande par ailleurs un réel bilan de ce qui a été décidé en instances, pour être sûr que des heures de réunions, parfois longues, n’ont pas servi à rien. « Quand il y a eu le mouvement des Gilets jaunes, cela a été presque un séisme, beaucoup de gens en ont parlé, mais un an après, qu’est ce qu’il en reste ? Il n’y a pas eu de retour », affirme Évelyne, militante Quart Monde à Bordeaux. « Autour de moi, il y a souvent le sentiment que les dés sont jetés. Les gens ont besoin d’entendre que leur voix compte, que les idées qu’ils donnent sont prises en compte pour se sentir respectés », constate Lucienne. « On entend souvent ‘on a des projets’, mais il faut amener les organisateurs de ces instances à des choses concrètes, avec des retours », ajoute Henry, militant Quart Monde de Reims.
Se retrouver en groupes de pairs
S’exprimer en public, témoigner de situations parfois difficiles, se confronter au jugement des autres n’est en outre pas toujours simple à gérer. Si l’accompagnement est nécessaire avant de participer à de telles instances, il l’est également après. « Il faut avoir un lieu pour parler avec d’autres après, pour mieux participer les fois suivantes, ne pas être seul et progresser », souligne Nathalie. « Le débriefing est important pour donner notre sentiment, se retrouver en groupe de pairs, dire ce qui a été bien ou mal vécu », ajoute Doris.
La plupart des militants Quart Monde estiment que leurs expériences dans des dispositifs de représentation ont été rendues possible par la prise de conscience, au sein d’ATD Quart Monde, qu’ils pouvaient être entendus. « Pour pouvoir participer, il a fallu que je reprenne confiance en moi, d’abord lors les Universités populaires Quart Monde, car la prise de parole ne vient pas en claquant des doigts », souligne ainsi Lucienne.
« À ATD Quart Monde, la participation est protectrice et libre. On parle avec nos mots, on ne déforme pas ce qu’une personne dit et on la laisse finir sa phrase. Il y a un respect mutuel. On porte la parole de tout un groupe, une parole collective qui devient plus puissante. Cela se travaille avant, on prend le temps de réfléchir », détaille ainsi Maria. « Sans l’Université populaire, je ne serais pas allée aux réunions de quartier, à la fête des voisins… Pour moi, je n’avais pas ma place. Maintenant, je me sens davantage citoyenne. Cette expérience a été un peu libératrice, je sais que je peux construire des choses avec d’autres », conclut-elle. Julie Clair-Robelet
Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde d’avril 2020.
Photo : Doris, Lucienne, Françoise, Maria, Henry et Nathalie, militants Quart Monde. © ATD Quart Monde