Chef de chœur, Jean-Paul Baget a animé pendant dix ans l’atelier chant au sein d’ATD Quart Monde. Dans un livre sorti le 11 octobre, Une vie chorale, il détaille son parcours et revient sur cette « aventure humaine extraordinaire ».
“La question d’engagement et d’injustice m’a toujours beaucoup travaillé”, se souvient Jean-Paul Baget. Dès l’âge de 17 ans, il s’engage avec Emmaüs et devient rapidement co-responsable d’une communauté d’hommes à Bourg-en-Bresse. Après cette expérience, “j’ai fait la rencontre de personnes travaillant dans le monde artistique et l’artiste que je voulais être quand j’étais enfant est revenu. J’ai foncé », explique-t-il. Près de 40 ans plus tard, son envie « de dévorer, d’être compétent, de rencontrer l’autre” est toujours bien présente.
Il croise ATD Quart Monde au début des années 1980 et sent que cela correspond aux valeurs qu’il porte et à sa “quête de justice”. Il participe à des sessions pour approfondir sa connaissance du Mouvement et donne des concerts à Noisy-le-Grand ou Pierrelaye notamment. Le fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, assiste à l’un de ces concerts en 1986. “On a chanté notamment des Négro spirituals. Il était bouleversé et m’a envoyé ensuite une lettre dans laquelle il me disait ‘merci de créer des rencontres avec les familles les plus pauvres’.” Joseph Wresinski lui confie également son rêve de voir “des gens du monde entier chanter ensemble” pour les 30 ans du Mouvement, le 17 octobre 1987. Jean-Paul Baget s’engage alors entièrement avec ATD Quart Monde pendant un an, pour coordonner la préparation de cette journée et organiser le spectacle “100 000 voix pour les sans voix”. “Nous avons contacté des chorales de partout, professionnelles, amateures, d’église, de quartier. Les chefs de chœur se sont engagés très vite dans ce projet qui a été un grand succès.”
Un apprivoisement
Après cette “année très forte”, Jean-Paul continue de donner des concerts dans les quartiers populaires avec les chœurs qu’il dirige. En 1997, Brigitte Bourcier, animatrice de l’Université populaire Quart Monde d’Île-de-France, lui propose d’animer un atelier chant. “Cette aventure a duré dix ans. Mon idée était d’abord de rassembler les personnes qui portaient le chant en eux, les musiciens, les gens qui se mettaient à chanter lors des fêtes, pour qu’après ils rayonnent dans leur quartier”, souligne-t-il. Finalement, l’atelier est ouvert à toutes les personnes qui souhaitent y participer, militants Quart Monde, alliés, volontaires… Pendant deux ans, les participants et le chef de chœur s’apprivoisent. “Il y avait des peurs, des voix fragiles, mais cela ne me dérangeait pas. Ils chantaient avec toute leur profondeur, leur cœur”, se souvient-il.
Jean-Paul crée en parallèle le chœur Passador, avec des jeunes de 15 à 30 ans et a l’idée de “faire l’alliance” entre ce chœur et l’atelier chant d’ATD Quart Monde. Il décrit dans son livre Une vie chorale la première rencontre entre les deux groupes. “Passador a commencé par chanter pour les gens de l’atelier et ces derniers étaient admiratifs. Presque envieux. Les jeunes se sont ensuite assis et est venu le moment où l’atelier chant a interprété pour eux La tendresse, cette chanson de Bourvil que nous travaillions alors. Et sur les joues des jeunes de Passador, j’ai vu des larmes couler. Ils étaient émus par la beauté du chant de ces hommes et femmes, avec leurs voix cassées. Si leur chant n’était pas forcément juste à l’extérieur, il l’était à l’intérieur : avec leur chant, ces gens partageaient une part d’eux–mêmes, avec sincérité.”
Pendant huit ans, la musique permet à tous les choristes, qu’ils soient en situation de pauvreté ou non, “d’apprendre à oser être soi dans un groupe, à se mettre en relation avec l’autre, se regarder dans les yeux, à chanter seul devant les autres… Tout cela dans un cadre très rigoureux, avec beaucoup d’exigences, mais sans jugement. Cette expérience a été porteuse de respect, de beauté, de bienveillance”.
Une transmission
Le partenariat dure huit ans, avec des répétitions collectives et « des moments extraordinaires d’humanité ». Il se termine en 2007 par un grand concert au Théâtre du Soleil, à Paris. La séparation n’est pas simple, mais Jean-Paul l’estime alors nécessaire pour permettre une transmission. « Tous pouvaient puiser dans cette expérience une fierté, une force et une confiance qui les incitaient à oser des chemins nouveaux ». Certains membres de l’atelier chant ont ainsi repris confiance en eux et s’inscrivent dans la chorale de leur quartier, osent apprendre à lire ou se présenter à des entretiens. Les jeunes du chœur Passador changent de regard sur les personnes en situation de pauvreté.
Près de quinze ans plus tard, le chef de chœur souhaite continuer à « transmettre les fruits de cette aventure humaine » en racontant son parcours dans le livre Une vie chorale : le chœur est une école de vie, publié en octobre aux Éditions du Palais. « Je veux interpeller les jeunes. Tu es musicien, comédien, danseur, tu as un talent, tu es passionné, mais qu’est–ce que tu fais de ce talent ? Souvent, on fait des groupes d’élites, on estime que si on met les plus fragiles au cœur d’un projet, ça va nous ralentir. Mais le fruit qui découle de cette rencontre est unique, il rayonne d’une grande humanité à l’intérieur du groupe et même autour », explique-t-il.
Lui qui a passé des années à travailler avec des chanteurs de tous milieux sait que cela prend du temps et n’est pas toujours simple. Cela demande de construire des partenariats solides, dans la durée. Mais « partager son art, ses compétences permet d’avoir des joies décuplées. Cela fait changer le monde et c’est concret », conclut-il avec un enthousiasme communicatif.
Le livre de Jean-Paul Baget, Une vie chorale : le chœur est une école de vie, 120 pages, 15 €, est publié aux Éditions du Palais et à retrouver dans vos librairies.
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Photo : © Jean-Paul Baget